Les grands établissements bancaires, à la manœuvre pour installer leur nouvelle solution de paiement baptisée Wero, redoutent l’arrivée d’ici à la fin de la décennie d’un concurrent de poids : l’euro numérique, version dématérialisée du cash porté par la Banque centrale européenne (BCE).
L’euro numérique « ouvre une page assez inconnue qui pour les banques est porteuse d’instabilité (…) C’est peu dire qu’elles sont contre », explique à l’AFP Olivier Sampieri, associé spécialiste du marché bancaire au sein du cabinet de conseil BCG.
Leur première inquiétude ?
Voir les clients vider leurs comptes courants pour transférer de l’argent vers leurs nouveaux portefeuilles d’euros numériques.
Les caractéristiques promises par la BCE sont, en effet, très proches d’un compte courant basique : consultation du solde en temps réel, paiement par téléphone ou par carte chez les commerçants et en ligne, transfert d’argent entre particuliers… Le tout gratuitement.
Or ces services, facturés souvent via des offres groupées associées à une carte, sont essentiels pour les revenus d’une banque.
L’argent dormant sur les comptes courants des particuliers représente aussi une ressource très lucrative pour les banques, surtout en période de taux élevés, puisqu’elles ne les rémunèrent pas (ou infiniment peu).
Les commissions que les banques captent aujourd’hui sur chaque paiement par carte sont aussi menacées par l’euro numérique en sa qualité de nouveau moyen de paiement, ajoute l’analyste de l’agence de notation S&P Global Nicolas Charnay.
Querelles de plafond
Certaines modalités pratiques de l’euro numérique, qui arrive en fin d’année au milieu de sa phase « préparatoire », restent encore à définir.
Parmi les pierres d’achoppement, figure la somme maximale que les Européens pourront y déposer chaque mois.
Une première étude de la BCE tablait en 2020 sur 3.000 euros, un montant supérieur au salaire moyen en zone euro, mais à même de donner une certaine latitude dans des pays où le cash conserve une place importante.
Les banquiers français, dont les sorties sur le sujet se muent souvent en attaques frontales, militent pour un plafond trente fois inférieur : 100 euros.
La limite évoquée par la BCE « est une limite théorique, on ne croit pas du tout que tout le monde aura » en permanence 3.000 euros, tempère M. Charnay.
Après analyse, S&P Global estime qu’entre 25 et 100 milliards d’euros pourraient migrer des comptes courants vers des portefeuilles en euro numérique.
C’est bien loin des 1.000 milliards brandis par les banquiers, une somme par ailleurs inférieure au montant du liquide en circulation aujourd’hui, et même des dépôts des seuls clients en France, autour de 550 milliards d’euros.
« Il faut arriver à faire le tri entre les arguments qui sont valides et les arguments qui sont un peu exagérés dans le cadre d’une négociation en cours » entre la BCE et les banques, qui auront un rôle à jouer dans le dispositif, souligne M. Charnay.
Financement de l’économie
« Chacun doit être attentif aux modalités, aux nouveaux coûts et aux conséquences de la mise en place » de l’euro numérique, a fait savoir la Fédération bancaire française (FBF), sollicitée par l’AFP.
« Il faut enfin avoir à l’esprit qu’un euro de moins de dépôts équivaut à un euro de moins de financement de l’économie », ajoute-t-elle.
Pour garantir leur solidité, les établissements bancaires doivent en effet faire évoluer de concert leurs encours de prêts et de dépôts.
Avec l’AFP