Le nord-est du Nigeria, le pays le plus peuplé d’Afrique et de la CEDEAO, fait face depuis plusieurs mois à une violente résurgence des attaques jihadistes qui ont fait au moins une centaine de mort en avril 2025.
L’Etat de Borno demeure l’épicentre du conflit qui a fait plus de 40.000 morts et 2 millions de déplacés dans cette région du pays, qui comprend aussi les Etats de Yobe et Adama.
« Le bassin du lac Tchad constitue un corridor stratégique crucial pour ces groupes, facilitant la logistique, le recrutement et les attaques transfrontalières impliquant le Tchad, le Niger et le Cameroun », explique Kabir Adamu, directeur de la société de conseil nigériane Beacon Consulting.
Qui sont les groupes jihadistes derrières les attaques au nord du pays de la CEDEAO ?
Boko Haram, également appelé Jama’atu Ahlis Sunna Lidda’awati wal-Jihad (JAS): fondé en 2002 à Maiduguri (État de Borno) par le prédicateur radical Mohammed Yusuf, qui attribuait les maux du Nigeria aux valeurs occidentales laissées par l’ancienne puissance coloniale britannique.
Boko Haram a lancé une insurrection armée en 2009 lui permettant de prendre le contrôle d’importantes parties du nord-est nigérian, avant d’en perdre face aux ripostes de l’armée nigériane.
Bien qu’affaibli, ce groupe affilié à Al-Qaïda reste opérationnel dans certaines régions et recourt largement à des tactiques fondées sur la peur (civils ciblés, villages pillés, enlèvements).
L’État islamique en Afrique de l’Ouest (Iswap, selon l’acronyme anglophone) : né en 2016 d’une scission au sein de Boko Haram et s’opposant notamment aux meurtres de musulmans.
Actuellement, il présente une structure plus organisée et idéologique, et maintient des liens avec l’État islamique. Il concentre ses attaques sur des cibles militaires et des infrastructures.
Dans le nord-ouest du pays de la CEDEAO, près de la frontière avec le Niger (Etats de Katsina, Kebbi, Sokoto, Zamfara, Kaduna), d’autres groupes lancent des attaques comme Ansaru, mouvement dissident lié à Al-Qaïda, et Lakurawa.
D’autres groupes émergent, en particulier dans le nord-ouest et le centre du pays, « qui ne sont pas nécessairement jihadistes mais utilisent des méthodes similaires, brouillant ainsi la frontière entre activités criminelles et terroristes », selon Kabir Adamu.
Ils se rapprochent « de plus en plus de la capitale nigériane (Abuja), ce qui, à mon avis, est un problème dont le gouvernement nigérian n’a pas encore vraiment pris conscience », relève Confidence McHarry, du cabinet de conseil SBM Intelligence à Lagos.
Pourquoi une résurgence des attaques maintenant ?
D’abord, « l’État islamique a lancé des appels directs entre janvier et mars 2025, exhortant ses affiliés dans le monde entier à intensifier leurs opérations », pointe Kabir Adamu.
Idriss Mounir Lallali, directeur du Centre africain d’étude et de recherche sur le terrorisme (ACSRT) basé en Algérie, note un « réajustement stratégique » de Boko Haram et de l’Iswap.
« Après avoir traversé une période de conflits mutuels, ils ont désormais recentré leurs efforts vers l’extérieur, exploitant les opportunités opérationnelles créées par la réduction de la pression militaire », explique-t-il.
« Les avantages saisonniers, tels que la saison sèche, ont également permis aux militants de bénéficier d’une plus grande mobilité et d’une meilleure capacité de planification », ajoute M. Lallali.
En outre, les jihadistes ont adapté leurs tactiques de combat, notamment via l’utilisation de drones, d’engins explosifs improvisés (EEI), les embuscades et les raids coordonnés, qui leur ont permis d’intensifier leurs opérations.
Quel est le contexte régional?
En plus des lacunes structurelles au Sahel et en Afrique de l’Ouest dans la lutte antiterroriste, la Force multinationale mixte (FMM), créée entre le Nigeria, le Niger, le Cameroun et le Tchad pour lutter contre les jihadistes autour du lac Tchad, est affaiblie depuis le retrait du Niger en mars et les menaces de retrait du Tchad, ce qui perturbe les patrouilles transfrontalières et le partage de renseignements.
Que fait l’armée nigériane?
Si les forces nigérianes ont effectivement réalisé des gains territoriaux et réussi à neutraliser certains commandants clés, l’Iswap et Boko Haram ont fait preuve d’une grande résilience.
De nombreux combattants se sont repliés dans les zones non gouvernées dans l’État de Borno, le bassin du lac Tchad et les territoires adjacents tels que le triangle de Tombouctou, les forêts d’Alargano et de Sambisa.
« Les forces de sécurité, concentrées dans des garnisons clés, ont laissé de nombreuses zones frontalières et rurales exposées », explique M. Lallali.
« En outre, les transitions politiques et l’évolution des priorités en matière de sécurité au niveau fédéral ont pu contribuer à retarder l’adaptation aux nouvelles stratégies des militants », ajoute-t-il.
Les insurgés profitent de ces vulnérabilités pour rétablir leurs voies d’approvisionnement et reconstruire leur influence locale.
Fin avril, le Nigeria a nommé un nouveau responsable pour les opérations antijihadistes dans le nord-est, le général Abdulsalam Abubakar.
© Agence France-Presse