Lekh Juneja, né en Inde, est l’un des rares patrons d’origine étrangère au Japon, où il dirige une célèbre marque de galettes de riz : face au déclin démographique, l’archipel doit miser sur l’immigration pour retrouver son dynamisme économique, affirme-t-il dans un entretien à l’AFP.
En dépit d’un vieillissement inexorable de sa population active, le pays reste notoirement rétif à l’accueil de travailleurs étrangers, et cherche depuis trois décennies à relancer sa croissance atone.
« Il y a quarante ans, je suis venu au Japon parce que le pays tutoyait le premier rang mondial en termes de PIB, il était en plein boom », se souvient M. Juneja, 72 ans.
Scientifique en biotechnologie, il est aujourd’hui directeur général de Kameda, le géant japonais des « senbei » (biscuits salés traditionnels de riz gluant).
A un moment donné, « le Japon s’est dit qu’il avait déjà tout obtenu, l’envie de s’intégrer dans la mondialisation s’est estompé », déplore M. Juneja lors d’un entretien au siège de Kameda à Niigata (centre-ouest), au coeur du Japon rizicole.
Fierté nationale, Kameda a grossi à l’unisson du boom du Japon d’après-guerre, multipliant ses revenus par dix entre 1965 et 1974 : il est devenu si populaire que son nom a fini par être synonyme des « senbei » dont raffolent les Japonais.
A la fin des années 1980, les entreprises nippones dominaient le top 10 mondial en termes de capitalisation boursière. Aujourd’hui, aucune ne figure plus dans la liste.
Et le pays qui a vu naître le Walkman, le train à grande vitesse et Super Mario ne donne plus le ton en matière de technologie, dépassé par la Silicon Valley, la Corée du Sud et la Chine.
-« Etat d’esprit »-
Après maints plans de relance peu efficaces, le nouveau Premier ministre Shigeru Ishiba vient de lancer un nouveau programme massif pour doper l’innovation technologique mais aussi pour enrayer l' »urgence silencieuse » démographique.
En raison d’une natalité déficiente, le pays devrait voir sa population diminuer de près d’un tiers au cours du prochain demi-siècle : les entreprises ont déjà du mal à pourvoir les postes vacants.
Bien qu’il ait assoupli ses règles ces dernières années, le Japon ne se résout pas vraiment à recourir à l’immigration pour combler ses besoins de main-d’oeuvre.
Pourtant, la quatrième économie mondiale « n’a pas d’autre choix » que d’accueillir davantage d’immigrants, insiste Lekh Juneja.
Arrivé pour la première fois en 1984 dans l’archipel, lui-a même a travaillé au fil des ans pour un fabricant d’ingrédients alimentaires puis une société pharmaceutique.
« Ce n’est pas seulement une question de chiffres, c’est un problème d’état d’esprit, de culture. Il faut embrasser la mondialisation », s’exclame-t-il.
Selon une étude récente, le Japon aura besoin de tripler son nombre de travailleurs étrangers d’ici 2040, à 6,88 millions.
– « Passeport japonais » –
Depuis son arrivée à la tête de Kameda, à l’identité typiquement nippone, Lekh Juneja essaie d’en faire un groupe davantage tourné vers l’international et promeut des « innovations » sur les spécialités à base de riz.
Dans le « centre de test » des nouveaux produits, des employés essaient de nouvelles recettes et saveurs susceptibles de séduire des consommateurs vietnamiens ou américains.
La langue « est un obstacle important. Quand vous faites venir à Niigata des gens qui ne parlent pas japonais, c’est très difficile pour eux », reconnaît M. Juneja.
« Nous devons changer cela : (si l’on emploie) des personnes qui ne connaissent que le japonais, nos choix seront très limités » tant en termes de ressources humaines que de développement, avertit-il.
« Il est très rare (qu’un étranger) devienne PDG d’une entreprise japonaise », ajoute Lekh Juneja. « Mais regardez les États-Unis : Microsoft, Google, ces entreprises ont des PDG indiens ! ».
Pour lui, « le Japon doit changer » : « Ici au Japon, nous sommes fiers de nos origines. Mais faire preuve de souplesse et intégrer des gens venus de l’étranger serait un atout important » pour le pays.
Les chefs d’entreprises étrangers ont connu quelques déboires dans l’archipel : le directeur général du groupe technologique Olympus, l’Allemand Stefan Kaufmann, a démissionné fin octobre après des allégations d’achats de drogues.
En 2018, Carlos Ghosn, le patron franco-libano-brésilien du constructeur Nissan, a été arrêté pour suspicion de malversations financières, avant de fuir clandestinement le pays.
« Il n’a pas donné ici une très bonne image des PDG étrangers », soupire M. Juneja. « Mais la différence entre lui et moi, c’est que j’ai un passeport japonais ».
Avec AFP