Togo / Djagblé : il vend le terrain familial sans le consentement de tous les héritiers ; la justice annule toutes les ventes

Côte d'Ivoire foncier

Crédit Photo : PEXEL / © Pixabay

Au Togo, la vente d’un terrain sans le consentement de tous les héritiers peut être annulée par les juges. Il faut donc faire preuve de prudence lorsqu’une personne vous vend un terrain sans l’accord des autres membres de sa famille. C’est l’une des leçons qu’on peut tirer de la décision rendue par la Cour suprême togolaise le 22 décembre 2022.

Les faits

Il a fallu 18 ans pour qu’on voit le bout du conflit qui a éclaté entre deux branches de la famille ADJA au sujet d’un grand terrain d’environ 46 hectares à Djagblé.

Ce terrain appartenait à leur ancêtre Z Ah, qui l’a laissé sans testament. Les deux héritiers directs, ADJA Ahossi et Z Ap, l’ont exploité ensemble de leur vivant.

Plus tard, un descendant de la branche Z Ap, nommé ADJA Azanlé, a vendu des portions de ce terrain sans l’accord de tous les héritiers, ce qui a provoqué le litige.

En 2004, le tribunal de Tsévié avait rendu le jugement n°16, qui :

• reconnaissait toutes les parties comme cohéritiers,

• annulait les ventes irrégulières,

• et ordonnait le partage du terrain en deux parts égales entre les deux branches.

Cette décision a déboussolé les personnes qui ont acheté des terrains. Ils ont fait pression et obtenu gain de cause.

Ainsi, en 2005, suite à leurs tierces oppositions, le tribunal a rendu le jugement n°180, qui a annulé le premier jugement, validé les ventes faites par ADJA Azanlé et reconnu leur propriété sur leur terrain en tant qu’acheteurs.

Mais l’affaire ne s’arrête pas là. Les héritiers insatisfaits ont porté l’affaire plus haut et saisi la Cour d’Appel. Là encore, les juges ont eu du mal à trancher.

En 2014, la Cour d’appel a confirmé le jugement n°180 pris en 2005 et donné satisfaction aux acheteurs du terrain.

La Cour suprême a refusé cette décision pour mauvaise application du droit et a renvoyé l’affaire devant la Cour d’appel autrement composée.

En 2018, la Cour d’appel a de nouveau confirmé le jugement n°180 pris en 2005 malgré la décision de la Cour suprême.

La Cour d’appel de renvoi n’a donc pas respecté ce que la Cour suprême lui avait demandé. Au lieu d’appliquer strictement le jugement n°16 de 2004 comme exigé, elle a encore confirmé le jugement n°180 de 2005, qui annulait ce premier jugement.

Pour les juges de la haute instance, cette décision viole l’article 221 du code de procédure civile, qui oblige la juridiction de renvoi à suivre précisément le point de droit tranché par la Cour suprême.

Pour terminer le litige, la Cour suprême a cassé et annulé, sans renvoi, l’arrêt de la Cour d’appel du 24 octobre 2018. Il a validé le jugement n°16 du 23 janvier 2004, qui ordonne le partage en deux parts égales et annule les ventes irrégulières, retrouve force pleine et entière.

En résumé, la Cour suprême rétablit définitivement le jugement de 2004 qui partage équitablement le terrain entre les deux branches de la famille et annule toutes les ventes faites sans accord de tous les héritiers.

Voici en intégralité l’arrêt rendu par la Cour suprême du Togo sur l’affaire de vente sans consentement des héritiers  du terrain à Djagbé.

 Togo, Cour suprême, 22 décembre 2022, 0115/22

Texte (pseudonymisé)

COUR SUPREME DU TOGO
CHAMBRE JUDICIAIRE ARRET N°0115/22 du 22 DECEMBRE 2022 _________ Pourvoi N°058/RS/2021 du 19 mars 2021 ___________ AFFAIRE
ADJA Fao et ADJA Houtesso de la collectivité ADJA Ahossi
(Me SAMBIANI)
C/
Succession de dame Ai Aj représentée par dame C Ao Aa
(Me Koumoyi GBELEOU) ___________
PRESENTS: MM
KODA : PRESIDENT
ABBEY-KOUNTE AMOUSSOU-KOUETETE MEMBRES Y B

A X : M.P. ADJETE-AMLA : GREFFIER
REPUBLIQUE- TOGOLAISE Travail-Liberté-Patrie
« AU NOM DU PEUPLE TOGOLAIS »
AUDIENCE PUBLIQUE ORDINAIRE DU JEUDI VINGT-DEUX DECEMBRE DEUX MILLE VINGT DEUX (22/12/2022)
A l’audience publique ordinaire de la chambre judiciaire de la Cour suprême, tenue au siège de ladite Cour, le jeudi vingt-deux décembre deux mille vingt-deux, est intervenu l’arrêt suivant : LA COUR, Sur le rapport de monsieur KODA, conseiller à la chambre judiciaire de la Cour suprême ; Vu l’arrêt n°483/18 rendu le 24 octobre 2018 par la Cour d’appel de Lomé ; Vu la requête à fin de pourvoi de maître Yobé SAMBIANI, conseil des demandeurs au pourvoi ; Vu le mémoire en réponse de maître Koumoyi GBELEOU, conseil de la défenderesse au pourvoi ; Vu le mémoire en réplique de maître Yobé SAMBIANI, conseil des demandeurs au pourvoi ; Vu le mémoire en duplique de maître Koumoyi GBELEOU, conseil de la défenderesse au pourvoi ; Vu les conclusions écrites de madame Ae A X, deuxième avocat général près la Cour suprême ; Vu les autres pièces de la procédure ; Vu la loi organique n° 97-05 du 6 mars 1997 portant organisation et fonctionnement de la Cour suprême et le décret n° 82-50 du 15 mars 1982 portant code de procédure civile ; Ouï le conseiller Koffi KODA en son rapport ; Ouï les conseils des parties ; Le ministère public entendu ; Et après en avoir délibéré conformément à la loi ; Statuant en matière civile et en état de cassation sur le pourvoi formé le 19 mars 2021 par maître Yobé SAMBIANI, avocat au barreau du Togo, agissant au nom et pour le compte de ADJA Fao et ADJA Houtesso de la collectivité ADJA Ahossi, contre l’arrêt n° 483/18 rendu le 24 octobre 2018 par la chambre civile de la Cour d’appel de Lomé qui a confirmé en toutes ses dispositions le jugement n° 180/2005 rendu le 25 août 2005 par le tribunal de première instance de Tsévié, lequel jugement, sur opposition, a rétracté le jugement n° 16 du 23 janvier 2004 par lequel le tribunal de première instance de Tsévié a ordonné le partage de l’immeuble litigieux en parts égales entre les branches ADJA Ahossi et Z Ap et commis pour procéder au partage monsieur An Ak, expert géomètre agréé près les cours et tribunaux du Togo ; EN LA FORME Attendu qu’il ressort des éléments du dossier que le pourvoi a été fait dans les forme et délai de la loi ; qu’il y a lieu de le recevoir ; AU FOND
Sur le premier moyen Vu l’article 221 du code de procédure civile ; Attendu qu’aux termes dudit article « La juridiction de renvoi est tenue par le point de droit défini par l’arrêt de cassation » ;
Attendu, selon l’arrêt et les éléments du dossier, que suivant requête en date du 1er décembre 2003, messieurs ADJA Fao et ADJA Houtesso ont attrait messieurs Z Af, ADJA Al et ADJA Ad par-devant le tribunal de première instance de Tsévié pour s’entendre ordonner le partage d’un immeuble indivis sis à Djagblé au lieu dit AG ; Qu’au soutien de leur action, les demandeurs ont exposé que leur aïeul Z Ah est décédé sans testament en laissant derrière lui un immeuble d’une contenance d’environ 46 hectares à Djagblé au lieu dit AG et deux héritiers, à savoir ADJA Ahossi et Z Ap ; Qu’après la mort de leur aïeul, ses deux héritiers ont exploité ensemble l’immeuble objet de leur héritage paisiblement et publiquement jusqu’à leur mort ; que mais contre toute attente, feu ADJA Azanlé, un des descendants de feu Z Ap, a vendu cet immeuble indivis à une tierce personne sans le consentement unanime de tous les indivisaires ; que c’est pourquoi ils sollicitent qu’il plaise au tribunal annuler cette vente et ordonner le partage en deux parts égales entre la branche ADJA Ahossi et la branche Z Ap ; Qu’en réponse à cette action, les requis Z Af, ADJA Al et ADJA Ad ont reconnu le bien-fondé de l’action et ont déclaré qu’ils ne s’opposent pas à la demande de partage ; Que par jugement n°16 rendu le 23 janvier 2004, le tribunal a dit et jugé que toutes les parties sont cohéritiers de feu Z Ah, a ordonné le partage de l’immeuble en deux parts égales entre les branches ADJA Ahossi et Z Ap et commis pour y procéder monsieur An Ak, expert géomètre agréé près les cours et tribunaux du Togo ; Que le tribunal a, en outre, annulé toutes les ventes effectuées unilatéralement par certains indivisaires sur l’immeuble objet du partage sans le consentement unanime de tous les héritiers ; Que suite aux tierces oppositions formées contre le jugement susvisé par messieurs Z Ap Ac, Af Am Ab Ai, dames Ai Aj et Ai Ag, le tribunal a, suivant son jugement n° 180 du 26 août 2005, déclaré les tierces oppositions bien fondées, rétracté en conséquence son jugement n° 16 du 23 janvier 2004, déclaré parfaites et régulières les ventes consenties par feu ADJA Azanlé aux dames Ai Aj, Ai Ag et au sieur Af Am Ab Ai et confirmé leur droit de propriété sur les différentes parcelles acquises auprès de feu ADJA Azanlé, débouté les requis ADJA Agbéko, ADJA An et ADJA Seth de toutes leurs fins, moyens et conclusions ; Attendu que des faits susvisés, il ressort que dans son arrêt n°294 du 27 novembre 2014 cassé par la Cour de céans, la Cour d’appel a dit et jugé que le jugement n° 16 rendu le 23 janvier 2004 par le tribunal de première instance de Tsévié doit emporter ses pleins et entiers effets ; en d’autres termes, la Cour d’appel dit que ce jugement doit être exécuté pleinement et sans aucune restriction ; or, après cette disposition claire et sans aucune ambiguïté, la Cour d’appel introduit, sans aucune explication, une restriction en commettant le géomètre AH Aq pour procéder au partage en lieu et place du géomètre An Ak commis par le jugement n° 16 susvisé dont la pleine et entière exécution a été ordonnée par la même Cour d’appel ; Attendu que c’est donc la raison pour laquelle la Cour suprême a cassé cet arrêt et renvoyé cause et parties devant la même juridiction autrement composée aux fins de lever l’équivoque sur cette restriction ; Attendu qu’au lieu de s’en tenir à ce point de droit défini par la Cour suprême pour confirmer purement et simplement le jugement n° 16 du 23 janvier 2004 en toutes ses dispositions et sans aucune restriction, la Cour d’appel de renvoi, après avoir bien visé l’arrêt de cassation dans son dispositif, s’en est écarté pour confirmer plutôt le jugement n° 180/2005 rendu le 25 août 2005 sur opposition, lequel jugement sur opposition a plutôt rétracté à tort le jugement n° 16 du 23 janvier 2004 ; Attendu qu’en statuant comme elle l’a fait, la Cour d’appel de renvoi a violé l’article 221 du code de procédure civile susvisé et son arrêt encourt cassation sans renvoi, donnant ainsi pleins et entiers effets au jugement n° 16 rendu le 23 janvier 2004 par le tribunal de première instance de Tsévié ; PAR CES MOTIFS
Statuant contradictoirement, publiquement, en matière civile et en état de cassation : EN LA FORME
Reçoit le pourvoi ;
AU FOND
Casse et annule sans renvoi l’arrêt n° 483/18 rendu le 24 octobre 2018 par la Cour d’appel de Lomé ; Dit que le jugement n° 16 rendu le 23 janvier 2004 par le tribunal de première instance de Tsévié emporte ses pleins et entiers effets ; Ordonne la restitution de la taxe de pourvoi aux demandeurs au pourvoi ; Condamne la défenderesse au pourvoi aux dépens ; Ordonne que mention du présent arrêt soit faite en marge ou au pied de la décision critiquée. Ainsi fait, jugé et prononcé par la chambre judiciaire de la Cour suprême, en son audience publique ordinaire du jeudi vingt-et-un avril deux mille vingt-deux à laquelle siégeaient :
Monsieur Koffi KODA, Conseiller à la chambre judiciaire de la Cour suprême, PRESIDENT ; Madame Kayi ABBEY-KOUNTE, messieurs Anani AMOUSSOU-KOUETETE, Pignossi BODJONA et Tcha-tchibara AYEVA, tous quatre, conseillers à la chambre judiciaire de la Cour suprême, MEMBRES ; En présence de madame Ae A, deuxième avocat général près la Cour suprême ; Et avec l’assistance de maître Agnélé ADJETE-AMLA, greffier à la Cour suprême, GREFFIER ; En foi de quoi, le présent arrêt a été signé par le Président et le Greffier. /.

Togo, Cour suprême, 22 décembre 2022, 0115/22

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