Togo / contentieux immobilier : comment 2 personnes ont perdu leurs terrains malgré leurs titres de propriété

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Crédit Photo : i0.wp.

Au Togo, 2 personnes ont perdu leurs terrains malgré leurs titres de propriété à l’issue d’un long et éprouvant contentieux immobilier. Ce contentieux a connu un dernier rebondissement en novembre 2022 devant la Cour suprême du Togo.

Une affaire complexe qui remonte aux années 1970

Tout commence en 1974 à Lomé, Monsieur Ab Y achète deux terrains par l’intermédiaire d’un mandataire, le nommé Aj A. Mais avant de finaliser la transaction, le vendeur décède brutalement.

Entre-temps, le propriétaire initial revend les mêmes parcelles à deux autres personnes : messieurs Ac Z et Ai AG, qui obtiennent des titres de propriété officiels.

Face à cette situation de double vente, Ab Y décide en 1978 de saisir la justice. Il demande que la seconde vente soit déclarée nulle et que sa propre acquisition soit reconnue comme régulière. Subsidiairement, il réclame le remboursement du prix d’achat et deux millions de francs CFA de dommages-intérêts.

Des décisions de justice favorables… mais contestées

Le dossier mettra plus d’une décennie à être jugé. En 1990, le tribunal de Lomé tranche en faveur d’Ab Y : les ventes consenties à Z et AG sont annulées, et ces derniers sont condamnés à des dommages-intérêts et à l’expulsion des terrains.

En 2001, la Cour d’appel de Lomé confirme cette décision, avec une nuance importante : elle reconnaît que les titres fonciers détenus par Z et AG sont valables et inattaquables.

Elle précise également que l’action pour stellionat (escroquerie portant sur un bien immobilier) doit viser le mandataire initial, Aj A, qu’elle condamne à verser quinze millions de francs CFA à Ab Y.

La rectification de 2010 : une modification contestable

Neuf ans plus tard, en 2010, Ab Y demande une rectification de cet arrêt de 2001. La Cour d’appel accepte et rend un nouvel arrêt qui modifie certains éléments de la décision initiale.

La nouveauté majeure : elle ordonne que les quinze millions de francs soient inscrits en hypothèque judiciaire sur les titres fonciers des terrains litigieux. Une mesure qui pèse directement sur les biens de Z et AG.

Ces derniers ne l’entendent pas de cette oreille et forment un pourvoi en cassation devant la Cour suprême. Leurs arguments ? La demande de rectification ne remplissait pas les conditions légales prévues par la loi, et surtout, la Cour d’appel a ajouté des dispositions qui n’existaient pas dans l’arrêt de 2001.

La Cour suprême donne raison aux requérants

Dans son arrêt du 17 novembre 2022, la Cour suprême suit le raisonnement de Z et AG. Elle rappelle un principe fondamental : une « requête civile » permettant de rectifier une décision de justice ne peut être introduite que dans des cas très précis énumérés par la loi (dol personnel, contrariété de jugements, pièces fausses découvertes après le jugement, etc.).

Or, ces conditions n’étaient pas remplies dans le cas présent.

La haute juridiction va plus loin : même si les conditions avaient été respectées, une rectification ne peut jamais servir à ajouter de nouveaux droits ou créer des mesures qui n’existaient pas dans la décision d’origine. Son rôle se limite à corriger des erreurs matérielles ou des omissions.

En ordonnant l’inscription d’une hypothèque judiciaire, mesure totalement absente de l’arrêt de 2001, la Cour d’appel a outrepassé ses pouvoirs.

Retour à la case 2001

La Cour suprême casse donc « purement et simplement » l’arrêt de rectification du 29 avril 2010, sans renvoi devant une autre juridiction.

Concrètement, cela signifie que l’arrêt de 2001 retrouve sa forme originale, sans les ajouts de 2010. L’hypothèque judiciaire sur les titres fonciers disparaît.

Ab Y, défendeur au pourvoi, est condamné aux dépens, et la taxe de pourvoi payée par Z et AG leur sera restituée.

Les enseignements de cette décision

Cet arrêt rappelle une règle essentielle en matière de procédure civile : on ne peut pas utiliser une procédure de rectification pour modifier le fond d’une décision de justice. La rectification est un outil limité, qui ne peut servir qu’à corriger des erreurs formelles, pas à créer de nouveaux droits.

Après 44 ans de procédures, ce conflit foncier illustre aussi la complexité des litiges immobiliers au Togo, notamment lorsque des doubles ventes interviennent et que des titres fonciers définitifs ont été établis.

Togo, Cour suprême, 17 novembre 2022, 099/22

Texte (pseudonymisé)

COUR SUPREME DU TOGO
CHAMBRE JUDICIAIRE ARRET N°099/22 du 17 novembre 2022 ________
Pourvoi N°106/RS/2010 du 20 Novembre 2010
AFFAIRE
Sieur Z Ac AG Ai (Me Dodji APEVON) C/ Y Ab (Me ATTIVI Foolly Gnavo )
___________
PRESENTS : MM
BASSAH : PRESIDENT
KODA LOXOGA ABBEY-K* membres AMOUSSOU K

BEKETI : M.P. NIKA : GREFFIER
REPUBLIQUE- TOGOLAISE Travail-Liberté-Patrie
« AU NOM DU PEUPLE TOGOLAIS »
AUDIENCE PUBLIQUE ORDINAIRE DU JEUDI DIX-SEPT NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT-DEUX (17/11/2022)

A l’audience publique ordinaire de la chambre judiciaire de la Cour suprême, tenue au siège de ladite Cour, le jeudi dix-sept novembre deux mille vingt-deux, est intervenu l’arrêt suivant :

LA COUR, Sur le rapport de madame Kayi ABBEY-KOUNTE, conseiller à la chambre judiciaire de la Cour suprême ; Vu l’arrêt n°046/2010 rendu le 20 avril 2010 par la Cour d’appel de Lomé ;

Vu la requête à fin de pourvoi de maître Dodji APEVON, avocat au barreau du Togo, conseil des demandeurs au pourvoi ;

Vu le mémoire en réponse de maître ATTIVI Folly Gnavo suppléant maître feu MOUKE, conseil du défendeur au pourvoi ;

Vu les conclusions écrites de monsieur Ag Ah B, premier avocat général près la Cour suprême ;

Vu les autres pièces de la procédure ;

Vu la loi organique n° 97-05 du 6 mars 1997 portant organisation et fonctionnement de la Cour suprême et le décret n°82-50 du 15 mars 1982 portant code de procédure civile

; Ouï le conseiller ABBEY-KOUNTE en son rapport ;

Nul pour les conseils des deux parties ;

Le ministère public entendu ;

Et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Statuant en matière civile immobilière et en état de cassation sur le pourvoi formé le 29 novembre 2010 par Maître Dodji APEVON, avocat au barreau du Togo, agissant au nom et pour le compte des nommés Ac Z et Ai AG contre l’arrêt n°046/10 rendu le 29 avril 2010 par la Cour d’Appel de Lomé dans le différend qui oppose ses clients au sieur Ab Y, lequel arrêt rendu en rectification de l’arrêt n°23/01 du 25 janvier 2001, a, en la forme, déclaré recevables les deux requêtes civiles principale et incidente et au fond, déclaré la requête civile incidente mal fondée en la rejetant et la requête civile principale fondée, en conséquence, il a prononcé la rectification du dispositif de l’arrêt n°23/01 du 25 janvier 2001 déféré comme suit :

“Statuant publiquement, contradictoirement en matière civile immobilière et en appel ; En la forme,

Déclare l’appel recevable ;
Au fond,
Dit que le titre foncier est définitif et inattaquable ;
Rejette la demande de l’intimé tendant à les faire muter en son nom ;

Dit que l’action en stellionat sera dirigée contre les sieurs Ai AG et Ac Z, possesseurs desdits titres fonciers,

Les condamne solidairement à payer au sieur Ab Y, la somme de quinze (15) millions de francs CFA à titre de dommages-intérêts ;

Ordonne l’inscription de ladite somme sur les titres fonciers susvisés en hypothèque judiciaire par le conservateur de la propriété foncière ;

Condamne les appelants aux dépens ;

EN LA FORME

Attendu qu’il ressort des éléments du présent dossier que tous les actes de la procédure ont été faits dans les forme et délai de la loi ; qu’il y a lieu donc de déclarer le pourvoi formellement recevable ;

AU FOND

Vu les dispositions des articles 244 et 39 du code de procédure civile et celles de l’article 9 de l’ordonnance n°78-35 du 7 septembre 1978 portant organisation judiciaire ;

Attendu que « les jugements contradictoires rendus en dernier ressort et qui ne sont plus susceptibles d’une voie de recours ordinaire, peuvent être rétractés sur requête de ceux qui y ont été parties ou dûment appelés, pour les causes ci-après : s’il y a eu dol personnel, s’il a été prononcé sur des choses non demandées, s’il a été adjugé plus qu’il n’a été demandé, ou s’il a été omis de se prononcer sur l’un des chefs de demande, s’il y a contrariété de jugements en dernier ressort entre les mêmes parties, sur les mêmes moyens et dans les mêmes juridictions, ou si dans un même jugement il y a des dispositions contraires ou encore si l’on a jugé sur pièces reconnues fausses depuis le jugement ou enfin, si depuis le jugement, il a été recouvré des pièces décisives et qui avaient été retenues par le fait d’une partie. » ;

qu’aussi, il est de principe que : « les jugements et arrêts doivent être motivés à peine de nullité ; ils doivent contenir l’indication qu’ils ont été rendus en premier ou dernier ressort et s’ils sont contradictoires ou par défaut. »;

qu’enfin, le juge, en statuant, doit se prononcer sur tout ce qui est demandé et seulement sur ce qui est demandé ;

Attendu qu’il ressort des énonciations de la présente procédure que par exploit d’huissier en date du 17 février 1978, le nommé Ab Y a attrait par-devant le tribunal de Lomé les nommés Ac Z et Ai AG, en revendication de droit de propriété de deux lots de terrain, sis à Lomé au quartier Ae Af ; qu’à l’appui de son action, le requérant expose que les deux lots lui ont été déjà vendus le 8 novembre 1974, par le nommé Aj A mandataire du nommé Ad C ;

qu’avant qu’ils ne finalisent le contrat de vente, son vendeur décède ; qu’après cette vente, le mandant de ce dernier, avait revendu les mêmes parcelles aux requis; que dans ces conditions, il sollicite qu’il plaise au tribunal de déclarer au principal, inopposable à lui, la vente consentie dans cette circonstance aux requis et par voie de conséquence, déclarer régulière et parfaite la vente à lui consentie par le nommé (feu ADEDJE), et au subsidiaire, condamner le nommé C, mandataire de ADEDJE à lui rembourser le prix d’achat du domaine querellé, soit une somme de quatre cent mille (400 000) francs CFA et à le condamner en outre à lui verser à titre de dommages-intérêts pour préjudice subi, la somme de deux millions (2 000 000) de francs CFA ;

Attendu par jugement avant-dire-droit n°576/79 en date du 7 décembre 1979, le tribunal de première instance de Lomé a ordonné d’office une enquête aux fins de permettre au requérant de rapporter la preuve de la vente dont il excipe, tout en réservant aux requis le droit de faire la preuve contraire ; qu’en outre, il a dit et jugé que les noms et adresses des témoins devraient être déclarés au greffe du tribunal de Lomé avant le 18 janvier 1980, et, sur ce, il a renvoyé cause et parties à ladite audience ; que malgré qu’aucune suite ne soit donné à ce jugement avant-dire-droit, le tribunal de Lomé, par jugement n°328/90 rendu le 23 mars 1990, recevant en la forme l’action du sieur Ab Y, a au fond, déclaré nulles et de nul effet, les ventes consenties aux sieurs Z et AKAKPO par le nommé C et déclaré bonne et valable celle intervenue entre le requérant et le nommé Aj A, par voie de conséquence, ordonné l’expulsion des requis des parcelles litigieuses, tout en les condamnant à payer à titre de dommages-intérêts pour préjudice la somme de deux millions (2000 000) de francs CFA subi au requérant ; qu’ayant interjeté appel dudit jugement, la Cour d’appel de Lomé, par arrêt n°023/2001 rendu le 25 janvier 2001, a confirmé en toutes ses dispositions le jugement déféré, et sur l’existence de titres fonciers sur le domaine litigieux, elle a rejeté la demande de l’intimé tendant à les faire muter en son nom et dit et jugé que l’action en stellionat sera dirigée contre le nommé Aj A en condamnant ce dernier à payer à l’intimé la somme de quinze (15) millions de francs CFA à titre de dommages-intérêts pour préjudice subi ; que contre cette décision, l’intimé a introduit une requête civile en rectification sur le fondement des articles 244 et 137 du code de procédure civile ;

que la Cour d’appel de Lomé, accueillant favorablement ladite requête, a par l’arrêt n°046/10 rendu le 29 avril 2010 procédé effectivement à la rectification de l’arrêt déféré ;

Sur le premier moyen tiré de la violation de l’article 244 du code de procédure civile et ayant pour conséquence la violation de l’article 9 de l’ordonnance n°78-35 du 7 septembre 1978 portant organisation judiciaire, en ce que, la Cour d’appel a déclaré recevable la requête civile introduite par sieur Ab Y et procédé ainsi à la rectification du dispositif de l’arrêt n°023/2001 du 25 janvier 2001 querellé, alors que les conditions posées par ledit article pour faire une requête civile ne sont nullement remplies ;

Et quant au deuxième, tiré de la violation de l’article 39 du code de procédure civile emportant violation de l’article 9 de l’Ordonnance n°78-35 du 7 septembre 1978 portant organisation judiciaire, en ce que, l’arrêt entrepris a donné une mesure complémentaire qui ne figure nulle part dans l’arrêt n°023/01 du 25 janvier 2001 ;

Attendu que sur ces deux moyens de cassation réunis, les conditions de recevabilité de la requête civile au sens de l’article 244 du code de procédure civile ne sont nullement remplies ; que d’ailleurs, quand bien même elles seraient remplies, la décision rendue sur la requête civile n’a pas pour objet de rajouter ou de créer de nouveaux droits à partir de la décision soumise à rectification ;

Qu’en statuant ainsi qu’il suit, « Ordonne l’inscription de ladite somme sur les titres fonciers susvisés en hypothèque judiciaire par le conservateur de la propriété foncière et condamné les appelants aux dépens. » ; les juges d’appel ont ajouté à tort, une nouvelle disposition à l’arrêt rendu ; qu’il s’ensuit que ces deux moyens de cassation sont fondés et l’arrêt déféré encourt cassation et annulation ;

Attendu que conformément aux dispositions de l’article 234 al. 2 du code de procédure civile, lorsqu’un moyen retenu entraine cassation, il n’y a plus lieu à statuer sur les autres ;

PAR CES MOTIFS

Statuant contradictoirement, publiquement, en matière civile immobilière et en état de cassation ; EN LA FORME

Reçoit le pourvoi ; AU FOND

Le dit fondé ;

Casse sans renvoi l’arrêt n°046/10 rendu le 29 avril 2010 par la Chambre civile de la Cour d’appel de Lomé ; Ordonne la restitution de la taxe de pourvoi ;

Condamne le défendeur au pourvoi aux dépens ;

Dit que mention du présent arrêt sera portée au pied ou en marge de la décision déférée ;

Ainsi fait, jugé et prononcé par la chambre judiciaire de la Cour suprême, en son audience publique ordinaire du jeudi dix-sept novembre deux mille vingt- deux à laquelle siégeaient :

Monsieur BASSAH Koffi Agbenyo, président de la chambre judiciaire de la Cour suprême, PRESIDENT ;

Messieurs Koffi KODA, Kuma LOXOGA, madame Kayi ABBEY-KOUNTE Anani AMOUSSOU-KOUETETE, tous quatre, conseillers à la chambre judiciaire de la Cour suprême, MEMBRES ;

En présence de monsieur X Aa, quatrième avocat général près la Cour suprême ;

Et avec l’assistance de maître Naka NIKA, greffier à la Cour suprême, GREFFIER ;

En foi de quoi, le présent arrêt a été signé par le Président et le Greffier./.

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