Dans la valse diplomatique qui se joue autour du conflit entre l’Ukraine et la Russie, un pas vient d’être franchi par Vladimir Poutine. Modeste, certes, mais symbolique.
En effet, le président russe Vladimir Poutine s’est engagé à suspendre ses frappes contre les infrastructures énergétiques ukrainiennes, sans pour autant accéder à la demande d’un cessez-le-feu global.
Une concession qui ressemble davantage à une manœuvre tactique qu’à une véritable avancée vers la paix, et qui révèle en creux la marginalisation croissante de l’Union européenne dans ce dossier.
L’annonce est tombée le 19 mars, au lendemain d’un entretien téléphonique exceptionnellement long entre Vladimir Poutine et Donald Trump sur la question du conflit entre l’Ukraine et la Russie.
Deux heures et demie d’échanges qui ont accouché d’une promesse : celle de suspendre pendant trente jours les bombardements russes sur le réseau électrique ukrainien, une cible privilégiée de Moscou depuis le début du conflit.
« J’ai immédiatement donné l’ordre aux troupes russes », a déclaré le président russe, selon le compte rendu officiel du Kremlin.
Une décision qui intervient alors que les frappes systématiques sur les centrales et les équipements énergétiques ukrainiens ont plongé des centaines de milliers de civils dans l’obscurité et le froid durant l’hiver qui s’achève.
Si cette annonce offre un répit bienvenu à la population ukrainienne, elle ne saurait masquer les arrière-pensées du Kremlin.
L’engagement russe arrive au moment où les bombardements sur les infrastructures énergétiques perdent de leur efficacité stratégique avec l’approche du printemps. De plus, le périmètre exact de cette trêve partielle fait déjà l’objet d’interprétations divergentes entre Moscou et Washington.
Alors que le Kremlin parle uniquement d’infrastructures énergétiques, l’administration de Donald Trump évoque « l’ensemble de l’énergie et des infrastructures ».
Une nuance de taille qui illustre la confusion entourant cet accord verbal. « La trêve concerne seulement le secteur énergétique et aucune autre infrastructure », a d’ailleurs précisé Dmitri Peskov, porte-parole du Kremlin, comme pour circonscrire d’emblée la portée de l’engagement russe.
En filigrane, cette annonce révèle surtout le rejet par Moscou de la proposition américano-ukrainienne d’un cessez-le-feu inconditionnel de trente jours, formulée le 11 mars à Djeddah.
Vladimir Poutine réaffirme ainsi sa stratégie dans le conflit qui oppose l’Ukraine à la Russie : ne jamais dire non frontalement aux initiatives de paix, mais les vider de leur substance en posant des conditions inacceptables.
Parmi ces préalables, figurent notamment « l’arrêt complet de l’aide militaire étrangère et de renseignements à Kiev » et la « démilitarisation »de l’Ukraine. Des exigences qui, si elles étaient satisfaites, placeraient le pays dans une position de vulnérabilité extrême avant même le début de véritables négociations.
« Poutine tente de modifier l’ordre des discussions afin de pousser Trump à faire des concessions préventives sur des questions qui ne font pas partie du cessez-le-feu temporaire américano-ukrainien mais font partie des objectifs de guerre de la Russie », analyse l’Institute for the Study of War, think tank américain spécialisé dans les questions de défense.
Cette analyse est partagée par Fiodor Loukianov, voix influente de la politique étrangère russe, qui se réjouit d’une dynamique ayant « basculé en faveur de la Russie ». La discussion même autour de ce moratoire limité, plutôt que d’un cessez-le-feu global, représente selon lui une victoire tactique pour Moscou.
Mais c’est peut-être dans sa dimension géopolitique que cet épisode revêt sa signification la plus profonde. En privilégiant le dialogue bilatéral avec Washington, Vladimir Poutine poursuit méthodiquement son objectif de marginalisation de l’Union européenne dans la résolution du conflit ukrainien.
Le compte rendu russe de l’entretien téléphonique ne laisse aucun doute sur cette intention : Poutine et Trump souhaiteraient « parvenir à un règlement bilatéral de la situation en Ukraine ». Une formulation qui exclut délibérément tant l’Europe que l’Ukraine elle-même des discussions sur leur propre avenir.
Face à cette perspective inquiétante, les chancelleries européennes s’agitent. « Les Européens doivent être dans la négociation. Ils doivent être à la table d’une manière ou d’une autre », insiste une source diplomatique française. Emmanuel Macron multiplierait les « échanges intenses » avec Donald Trump, « y compris par SMS », pour tenter de préserver une place à l’Europe dans ce jeu d’influence.
L’idée d’organiser des discussions séparées sur « la sécurité européenne », en parallèle des négociations sur l’Ukraine, circule désormais dans les cercles diplomatiques européens. Une façon de sauver les apparences pour une Union européenne qui voit son influence s’éroder dans ce dossier crucial pour sa sécurité.
Dmitri Medvedev, ancien président russe et actuel vice-président du Conseil de sécurité, s’est empressé de tourner en dérision cette relégation de l’Europe.
« L’appel téléphonique entre les présidents Poutine et Trump a confirmé une idée bien connue – il n’y a que la Russie et l’Amérique dans la salle à manger », a-t-il ironisé, ajoutant que les Européens figuraient « au menu » plutôt qu’autour de la table.
Si l’arrêt des frappes sur les infrastructures énergétiques ukrainiennes représente indéniablement une amélioration immédiate pour les populations civiles, cette concession mineure ne saurait masquer l’écart qui se creuse entre les objectifs affichés de paix et la réalité des manœuvres diplomatiques.
Une réalité où l’Union européenne, en dépit de sa proximité géographique et de ses intérêts vitaux, se trouve progressivement écartée des décisions qui façonneront pourtant son avenir sécuritaire.