Fatigués d’être pris pour cible en raison de leur couleur de peau, des Sénégalais ont dénoncé un racisme quotidien qu’ils ont longtemps enduré en silence.
En Mauritanie, pays d’Afrique du Nord-Ouest, ils ont été confrontés à des discriminations systémiques, allant d’expulsions brutales à des humiliations administratives.
Dans ce climat pesant, la communauté sénégalaise a vécu pendant des années avec la peur au ventre. Malgré leur ancienneté sur le territoire et leurs efforts d’intégration, beaucoup ont été soumis à des contrôles abusifs, à des procédures arbitraires et à des mesures d’éloignement sans explication claire.
La surveillance dont ils ont fait l’objet, souvent injustifiée, a renforcé un sentiment de marginalisation profonde. Face à cette pression devenue insupportable, certains ont fini par dire stop, décidant de ne plus se taire et de dénoncer publiquement les injustices qu’ils ont subies.
Portée par une colère accumulée, la communauté sénégalaise en Mauritanie a lancé, pour la première fois, un mouvement de protestation structuré. Réunis sous l’égide de la Fédération des associations et groupements des Sénégalais en Mauritanie (Fagsem), les membres ont suspendu toutes leurs activités pendant deux jours, à compter du 16 juillet 2025. Cette décision a été rendue publique la veille, par un communiqué dénonçant une vague grandissante d’arrestations jugées arbitraires.
Plusieurs ressortissants ont témoigné avoir été interpellés dans la rue ou sur leur lieu de travail, sommés de prouver sur-le-champ leur nationalité mauritanienne. Oumar Ndaw, vice-président de la Fagsem chargé des affaires extérieures, a dénoncé une situation devenue invivable, marquée par des contrôles brutaux et soudains. Ceux qui n’ont pas pu présenter de documents en règle ont été conduits dans des centres de rétention, parfois retenus plusieurs jours avant d’être expulsés vers la frontière. Ce climat oppressant a fini par déclencher un sursaut collectif. Pour beaucoup, cela a été le point de non-retour : ils ont estimé que la limite avait été franchie.
Dans la foulée de cette mobilisation, de nombreux Sénégalais ont raconté avoir vécu dans une peur constante, redoutant d’être arrêtés à tout moment. Ils ont décrit un climat oppressant, marqué par des contrôles policiers devenus quasi systématiques. Petit à petit, le simple fait de travailler, de circuler ou même de se promener a été perçu comme un danger, surtout pour ceux dont l’origine était immédiatement identifiable.
Ainsi, la nationalité n’a plus représenté un simple statut administratif : elle a servi de barrière brutale entre les « tolérés » et ceux jugés « indésirables » .
Par ailleurs, l’absence de réaction officielle a aggravé ce sentiment d’injustice. Le silence prolongé des autorités mauritaniennes a été interprété comme une forme de déni, voire de mépris, face à une crise pourtant bien réelle. Pour la Fagsem, cette grève symbolique a également eu pour objectif d’alerter l’opinion publique et de provoquer un sursaut politique. Car derrière les arrestations, c’est toute une communauté, implantée depuis des décennies, qui a été renvoyée à une image d’« étrangers » jamais vraiment acceptés.
Ce réveil collectif de la communauté sénégalaise a ravivé des blessures anciennes, encore vives dans les mémoires. À la fin des années 1980, des milliers de Noirs – parmi eux de nombreux Sénégalais – ont été expulsés brutalement, souvent sans procédure claire ni justification. Ces événements, profondément traumatisants, ont laissé une empreinte durable dans la conscience collective et ont alimenté une méfiance toujours présente.
Depuis, la forme de l’exclusion a changé, mais non sa violence. Ce n’est plus une répression spectaculaire, mais une pression sourde, répétée, insidieuse. Pour ceux qui l’ont subie, ce harcèlement quotidien, combiné au silence des autorités, est devenu de plus en plus intolérable.
En décidant de se mobiliser, les Sénégalais de Mauritanie ont tenté de briser cette spirale silencieuse, de faire entendre une parole longtemps étouffée, et surtout, de rappeler que la possession ou non d’un document ne devrait jamais justifier l’effacement de leur dignité.
Alors que le racisme continue de s’enraciner dans les pratiques du quotidien, les Sénégalais de Mauritanie ont choisi de ne plus se taire. En brisant le silence, ils ont rappelé que la dignité ne se négocie pas, et qu’aucune frontière, ni aucun statut, ne saurait justifier l’injustice.