Les Tchadiens votent ce lundi 6 mai pour mettre fin à trois ans de pouvoir militaire dans une présidentielle qui se résume à un duel inédit entre le chef de la junte, le général Mahamat Idriss Déby Itno, et son Premier ministre Succès Masra, ex-opposant rallié à son régime.
Mais l’opposition, violemment réprimée et écartée de la course, appelle à boycotter un scrutin « joué d’avance » pour perpétuer une « dynastie Déby », et des ONG doutent de la crédibilité de l’élection.
A N’Djamena, il est difficile de mesurer l’engouement à la mi-journée. S’ils se pressaient peu à l’ouverture des bureaux de vote à l’aube, les électeurs semblaient plus nombreux en milieu de matinée dans plus de 20 bureaux de vote visités par des journalistes de l’AFP.
Mais à midi, sous une chaleur écrasante, les lieux étaient déserts.
Au début de la campagne, tous les observateurs prédisaient une victoire massive du président de transition Déby après qu’il eut fait écarter tous ses rivaux les plus dangereux.
Mais l’économiste Masra, accusé par ses anciens alliés de l’opposition d’être un « traître » rallié au système Déby et vrai-faux candidat pour « donner un vernis démocratique » au scrutin, est apparu comme un possible trouble-fête. Capable au moins de pousser le général à un second tour, en drainant des foules imposantes à ses meetings.
Un bon président
« Je suis venue pour faire mon choix, prendre un bon président qui peut changer le pays et même aider les jeunes à évoluer », s’époumone Angéline Goltoua, une chômeuse de 24 ans après avoir déposé son bulletin, dans une classe aux murs lépreux d’une école du quartier d’Abena, un bastion des partisans de Masra.
Déby et Masra, âgés de 40 ans, se sont dits chacun convaincu d’être élu dès le premier tour. Huit autres candidats ne peuvent espérer que des miettes, car peu connus ou réputés peu hostiles au pouvoir.
« Tous ceux qui ont montré qu’ils veulent un changement massif doivent aller voter massivement, de façon pacifique », a lancé M. Masra après avoir voté.
Entouré de nombreux bérets rouges lourdement armés de la toute puissante garde présidentielle, le général Déby, a répété, en déposant son bulletin, son « engagement » pour un « retour à l’ordre constitutionnel ».
Le 20 avril 2021, après avoir régné 30 ans sur le Tchad, le maréchal Idriss Déby Itno était tué par des rebelles en se rendant au front. Quinze de ses fidèles généraux proclamaient son fils Mahamat président d’une transition de 18 mois.
Il était aussitôt adoubé par une communauté internationale (France et Union africaine (UA) en tête) prompte à condamner et sanctionner les militaires putschistes ailleurs en Afrique, au motif principal que le Tchad est réputé être le pilier régional de la guerre contre les jihadistes au Sahel.
Mais 18 mois plus tard, la junte prolongeait la transition de deux ans et les militaires tuaient par balle plus de 300 jeunes selon les ONG, une cinquantaine selon le pouvoir, qui manifestaient contre cette extension. Plus d’un millier étaient déportés dans un bagne en plein milieu du désert, et des dizaines exécutés ou torturés, selon les ONG.
Les principaux cadres de l’opposition étaient traqués et certains dont M. Masra ont fui en exil.
Ni crédible, ni libre
L’un d’eux, resté au pays, Yaya Dillo Djérou, cousin et principal rival du général Déby pour la présidentielle, a été tué le 28 février par des militaires dans l’assaut du siège de son parti. « Assassiné », « d’une balle dans la tête à bout portant », selon l’opposition et des ONG internationales.
Vendredi, la Fédération Internationale pour les droits humains s’est inquiétée d’une « élection qui semble ni crédible, ni libre, ni démocratique », « dans un contexte délétère marqué par (…) la multiplication des violations des droits humains ».
L’ONG International Crisis Group (ICG) a également émis des « doutes sur la crédibilité du scrutin » après l’éviction des candidats d’une « opposition politique muselée ».
Si Masra l’emportait, ce serait la première transmission pacifique du pouvoir dans ce pays qui a connu de nombreux coups d’Etat avant celui d’Idriss Déby Itno en 1990.
Le Tchad demeure, à ce jour, le premier des quatre régimes militaires au Sahel à organiser des élections dans le cadre d’une « transition ».
Au Mali, au Niger et au Burkina Faso, où des putschistes se sont emparés du pouvoir depuis 2021, aucune date n’est encore fixée pour un « retour à l’ordre constitutionnel » réclamé notamment par l’UA.
Le Tchad reste le dernier point d’ancrage militaire de la France au Sahel, avec un millier de soldats encore présents. Le Niger, le Mali et le Burkina Faso ont tourné le dos à Paris, chassé ses soldats qui y opéraient dans le cadre de la lutte contre les jihadistes, et se sont rapprochés de la Russie.
Fin avril, les Etats-Unis, dont les soldats venaient de quitter le Niger, ont annoncé qu’ils allaient retirer « temporairement » leurs soldats du Tchad, une petite centaine présents aussi dans le cadre de la guerre contre les jihadistes.
Les résultats officiels provisoires sont attendus le 21 mai, et un éventuel second tour le 22 juin.
AVEC AFP
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