Au Nigeria, l’empire bâti par Aliko Dangote, figure emblématique du monde des affaires africain, a peu à peu pris les allures d’une dynastie, alors que l’industriel a commencé à ouvrir les portes de son héritage à ses trois filles.
Derrière cette décision, mûrie avec discrétion mais détermination, se lit une volonté profonde : transmettre bien plus qu’une fortune, mais une vision, un nom, une empreinte.
À 68 ans, l’homme que Bloomberg a récemment évalué à 28,5 milliards de dollars a entamé un retrait silencieux de l’avant-scène.
En effet, en juin 2025, il a quitté le conseil d’administration de Dangote Sugar Refinery, premier signe tangible de cette transition.
Puis, dans un geste symbolique chargé d’émotion, il a tiré sa révérence à la tête de Dangote Cement, le pilier historique de son conglomérat, juste avant l’ouverture imminente de sa raffinerie colossale, estimée à 20 milliards de dollars.
Ce passage de témoin, soigneusement orchestré, s’est matérialisé par la nomination d’Emmanuel Ikazoboh à la présidence de Dangote Cement.
Ancien président d’Ecobank Transnational Incorporated et membre du groupe depuis 2014, il incarne désormais la continuité d’un rêve devenu réalité, celui d’un Nigérian qui a transformé une ambition personnelle en un legs continental.
Mariya Dangote, pilier discret de l’héritage familial
L’aînée des filles Dangote s’est imposée comme une pièce maîtresse dans l’ombre de l’empire familial. Mariya a officiellement rejoint le conseil d’administration de Dangote Cement, une étape cruciale pour celle qui construit patiemment sa place au cœur d’un conglomérat colossal. Derrière cette nomination, il ne s’agit pas seulement d’un titre, mais d’une promesse : assurer la pérennité d’un empire tout en insufflant une vision tournée vers l’avenir.
Depuis ses débuts en 2016, après un MBA décroché à Coventry, Mariya a navigué avec assurance entre les méandres stratégiques et opérationnels du groupe. Experte en gestion des risques et stratégie commerciale, elle a su s’imposer comme une force discrète mais indispensable.
En 2019, elle a pris en main la transformation numérique et la planification stratégique de la raffinerie de sucre Dangote, avant d’en devenir, en 2022, la directrice exécutive des opérations, preuve tangible de son ascension.
Mais Mariya ne se limite pas au sucre ou au ciment. Elle siège aussi au conseil de Dangote Peugeot Automobiles Nigeria (DPAN), reflet de l’expansion diversifiée du groupe et de son ancrage industriel au Nigeria.
Halima Dangote, l’architecte discrète de la résilience familiale
Au début de 2022, Halima Dangote a rejoint le conseil d’administration de Dangote Cement, une nomination lourde de sens intervenue peu après la disparition de son oncle, Sani Dangote, ancien vice-président de Dangote Industries Limited (DIL). Directrice exécutive du groupe chez DIL depuis 2019, Halima a démontré sa capacité à redresser des situations complexes, notamment lorsqu’elle a piloté la restructuration de Dangote Flour Mills, avant de conduire sa vente stratégique à Olam Group de Singapour.
Entre 2014 et 2016, elle avait déjà pris les rênes de NASCON Allied Industries, autre filiale du groupe, où elle siège toujours au conseil d’administration en qualité d’administratrice non exécutive. En 2023, elle a reçu une mission capitale : créer et gérer le bureau familial Dangote à Dubaï, un rôle qui lui confère une place centrale dans la gouvernance et la stratégie globale du clan.
Par ailleurs, Halima œuvre aussi au sein de la Fondation Aliko Dangote, la branche philanthropique qui porte les valeurs d’engagement social du groupe.
Aujourd’hui, avec deux des filles Dangote présentes dans les conseils d’administration, c’est une nouvelle ère qui s’écrit : celle d’une relève familiale consciente, ambitieuse et déterminée à laisser son empreinte dans l’histoire de l’Afrique. Dangote Cement, troisième plus grande entreprise cotée du Nigeria, était valorisée à 8,34 trillions de nairas, soit 5,4 milliards de dollars au 28 juillet 2025, soulignant l’importance stratégique de cette prise de responsabilité.
Fatima Dangote, la plus jeune gardienne de la vision commerciale
Fatima, la benjamine des trois filles, incarne la nouvelle génération de leaders dynamiques au sein de DIL. Directrice exécutive des opérations commerciales, elle supervise avec rigueur la stratégie commerciale, la communication, l’approvisionnement ainsi que l’administration à travers l’ensemble du groupe. Son parcours, débuté en tant que spécialiste technique dans l’unité stratégique, puis comme assistante exécutive du directeur du développement commercial et de la gestion de portefeuille, reflète une montée progressive et maîtrisée vers les responsabilités majeures qu’elle assume aujourd’hui.
En 2024, lors d’une interview marquante avec The Africa Report, Fatima Dangote a partagé une vision claire et déterminée pour l’avenir de Dangote Industries.
Elle a rappelé que « Le Nigéria importe 90 % des besoins en sucre. Le sucre cultivé localement est encore inférieur à 10 % », un constat qui, loin de décourager, nourrit une volonté farouche de changement. Avec une conviction affirmée, elle a annoncé que : « avec la mise en œuvre agressive du programme d’intégration rétrograle, Dangote sera bientôt en mesure de réduire sa dépendance à l’égard des importations ».
Plus qu’une simple ambition économique, c’est un engagement à renforcer la souveraineté industrielle du pays.
Depuis 2023, elle siège au conseil d’administration de NASCON Allied Industries, et son expérience ne date pas d’hier : elle a été directrice exécutive à partir de 2016, supervisant avec rigueur les stratégies de vente commerciale, de marketing, de logistique et de marque qui ont façonné le visage de l’entreprise.
Aliko Dangote lui-même le confie avec fierté : « Mes trois filles, Mariya, Halima et Fatima, sont toutes des cadres supérieurs du groupe, et je peux vous dire qu’elles sont essentielles au succès de notre entreprise ».
Ces mots résonnent comme un hommage vibrant à une génération qui porte désormais le flambeau avec force et conviction.
Fatima, la plus jeune, s’investit également dans la Fondation Aliko Dangote, incarnation philanthropique des valeurs familiales, et n’hésite pas à accompagner son père lors d’événements publics.
Lors d’une interview accordée à CNN, elle a décrit ce dernier comme « extrêmement travailleur », un modèle d’exigence et de détermination. Interrogée sur sa rigueur en tant que parent, elle a répondu avec sincérité : « Un peu difficile. Je pense qu’il attend tellement plus de nous que d’autres personnes, et quand vous avez un père comme lui, rien d’autre que la perfection n’est acceptable, alors vous devez travailler davantage… »
Pendant que Dangote se retire doucement des opérations cimentières, son regard s’est tourné vers les vastes horizons de l’énergie et de l’industrie. Le groupe a récemment inauguré une usine d’engrais à Lagos, d’une valeur de 2,5 milliards de dollars, et prévoit de lancer sa raffinerie pétrolière, capable de traiter 650 000 barils par jour dès 2024.
En novembre 2024, une autre page industrielle a été tournée avec la réouverture de son usine de transformation de tomates à Kano, symbole d’une diversification audacieuse.
DIL a affirmé dans un communiqué que Dangote se concentrerait désormais sur les opérations de raffinage, d’engrais et de pétrochimie, ainsi que sur les relations gouvernementales. Mieux encore, les ambitions sont claires : doubler la production de l’usine d’engrais d’ici 2028, augmenter la capacité de la raffinerie à 700 000 barils par jour, et développer « le plus grand port en haute mer du Nigéria », un projet colossal destiné à soutenir les exportations énergétiques et industrielles du groupe. Ce port deviendra un véritable point d’ancrage pour le gaz naturel liquéfié, les engrais et les carburants, un pilier stratégique dans la vision d’ensemble.
Au-delà des frontières nigérianes, le groupe signe aussi des partenariats ambitieux. Avec un accord de 3 milliards de dollars conclu avec le gouvernement éthiopien, la construction d’une usine d’engrais à Gode, dans la région somalienne, témoigne de la portée continentale des ambitions de Dangote.
Lors d’un événement à Lagos en 2019, le patriarche n’avait pas manqué de rappeler l’importance capitale de ses filles dans l’essor familial : « Ils sont essentiels au succès de notre entreprise ».
Il attribue d’ailleurs son esprit entrepreneurial à sa mère, une « femme forte à l’esprit d’affaires » qui avait insufflé en lui cette flamme et cette ténacité.
Dans ce souffle familial, Mariya, Halima et Fatima Dangote incarnent aujourd’hui à la fois l’héritage et l’avenir d’un empire qui se construit à travers elles.