C’est un contrat qui va durer dans le temps. La France s’allie à une entreprise indienne pour fabriquer ces morceaux de turbine en Inconel, il ne s’agit pas d’un contrat d’achat de boulons, mais d’un morceau de souveraineté industrielle partagé à coups de presse hydraulique.
Dans le cas présent, l’alliance autour de LEAP concerne des pièces critiques en Inconel, un alliage à base de nickel, chrome et fer, qui résiste à des températures où même les aciers les plus costauds se liquéfient.
Pour obtenir ses pièces forgées en Inconel, il faut mobiliser des presses de plus de 10 000 tonnes, des fours de précision, et des équipes qui savent ce qu’elles font. HAL s’en charge, avec transfert de compétences à la clé.
En retour, Safran sécurise une production à haute température, dans un pays où la main-d’œuvre industrielle monte rapidement en compétence et où la demande explose plus vite que le kérosène ne s’évapore sur le tarmac.
Pourquoi la France a choisi l’Inde ?
La demande aérienne indienne, c’est un peu comme une casserole oubliée sur le feu. Ça monte vite. Le pays connaît une croissance du trafic de l’ordre de 14 % par an, portée par une population jeune, urbaine, et qui prend l’avion pour échapper à 40 heures de train sans climatisation.
Aujourd’hui, 75 % des avions commerciaux indiens volent avec des moteurs CFM, soit environ 370 avions, et 2 000 moteurs LEAP ont déjà été commandés.
Vous imaginez le tableau : des compagnies qui grossissent plus vite que leurs capacités techniques, des usines locales qui doivent sortir des pièces critiques, et une industrie aéronautique qui passe en quelques années de sous-traitant à acteur autonome.
Safran a senti le vent tourner. Elle a donc déjà cinq sites en Inde, à Hyderabad, Bangalore et Goa. Un sixième arrive, pour faire de la maintenance moteur. L’idée n’est pas juste de produire localement, mais de construire un écosystème industriel entier, à l’image de ce qui existe en France… sans la dépendance au prix du mégawattheure européen.
HAL, ou l’art de transformer une histoire soviétique en avenir multilatéral
HAL n’est pas tout à fait une PME. Véritable mastodonte fondé en 1940, à l’époque où on fabriquait encore des avions à hélice en bois. Avec l’aide de l’Union soviétique, elle s’est transformée en bras armé de l’aviation indienne. Aujourd’hui, elle fabrique des avions de chasse, des hélicos, et elle monte en gamme sur les moteurs.
C’est cette entreprise-là qui va forger les pièces LEAP en Inconel. Et ça ne s’arrête pas au civil. Le moteur M88 du Rafale, celui qui équipe les chasseurs français, est aussi concerné. HAL produit déjà certains composants. L’idée, à terme, c’est de partager le savoir-faire sans pour autant céder la recette complète. Une coopération donc, pas une dépossession.
Côté HAL, le calcul est simple : plus de technologie = plus d’autonomie industrielle. Côté Safran, c’est plus subtil : on accepte de former un potentiel futur concurrent, mais on évite de se retrouver coincé le jour où une frontière se ferme.