La tension monte entre le Niger et Orano, le groupe français. Concrètement, le gouvernement nigérien a porté de nouvelles accusations contre Orano cette semaine, affirmant avoir découvert 400 tonneaux de matières radioactives à Madaouela, une localité proche d’Arlit dans le nord du pays. Le ministre de la Justice et des Droits de l’Homme, Alio Daouda, a dénoncé publiquement devant les caméras de la télévision nationale ce qu’il considère comme des manquements graves du groupe français.
Les mesures effectuées sur place révèlent des niveaux de radioactivité oscillant entre 7 et 10 microsieverts par heure, loin au-delà des 0,5 microsievert habituellement constatés. Deux substances liées à des problèmes respiratoires et à des risques potentiels pour la santé humaine ont également été détectées lors des tests, selon les autorités. Niamey annonce son intention d’engager des poursuites judiciaires pour obtenir réparation des dommages subis.
Orano, de son côté, rejette catégoriquement ces allégations. La société française, détenue à 90% par l’État, affirme n’avoir reçu aucune notification officielle de la part du Niger. Surtout, elle précise ne posséder aucun permis d’exploitation pour le site de Madaouela et n’y avoir mené, par conséquent, aucune opération. Une version que conteste vigoureusement le ministre Daouda, qui accuse le groupe d’avoir déjà refusé d’obtempérer à des décisions de justice locales concernant l’enlèvement de plusieurs millions de tonnes de déchets radioactifs laissés à découvert.
Une longue histoire entre le Niger et Orano
L’histoire d’Orano au Niger remonte à plus d’un demi-siècle. Le groupe a longtemps exploité les gisements d’uranium du pays, notamment les mines d’Akouta et d’Arlit. En 2021, après la fermeture de la mine d’Akouta exploitée par la COMINAK pendant plusieurs décennies, des organisations de la société civile d’Arlit s’étaient déjà inquiétées d’irrégularités dans le processus de réaménagement. La Commission de recherche et d’informations indépendantes sur la radioactivité, une association française créée après Tchernobyl, avait confirmé ces préoccupations dans plusieurs rapports, estimant que l’extraction d’uranium affectait considérablement la qualité de l’eau.
Le bras de fer juridique actuel ne date pas d’hier. Niamey a retiré à Orano en juin 2024 le permis d’exploitation du gisement d’Imouraren, un site pourtant jamais mis en production. Un an plus tard, en juin 2025, les autorités ont nationalisé la Somaïr, filiale d’Orano qui opérait la dernière mine d’uranium encore active sur le territoire nigérien.
Face à ces décisions, le groupe français a sollicité l’intervention du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements. Le tribunal arbitral du CIRDI a rendu en septembre une décision contraignante, ordonnant au Niger de s’abstenir de vendre ou de transférer l’uranium produit par la Somaïr. Bref, une injonction claire.
Pourtant, Niamey persiste. Cette semaine, les autorités ont annoncé la mise en vente du stock d’uranium sur le marché international, bravant ouvertement la décision du tribunal arbitral. Un convoi transportant environ 1 000 tonnes de concentré d’uranium aurait quitté Arlit en direction du port de Lomé au Togo, en transitant par le Burkina Faso. Orano a immédiatement condamné ce transport, le qualifiant d’illégal et dénonçant l’absence d’informations sur les conditions de sûreté et de sécurité de l’opération.
Le général Abdourahamane Tiani, chef de la junte militaire au pouvoir depuis juillet 2023, a justifié cette décision par le droit légitime du Niger de disposer de ses richesses naturelles et de les commercialiser en toute indépendance. Un discours de souveraineté qui résonne dans un contexte de rupture diplomatique avec Paris et de rapprochement avec Moscou, le Niger ayant signé un mémorandum d’entente avec Rosatom en juillet dernier.
Le groupe français se réserve désormais le droit d’engager toutes les actions nécessaires, y compris pénales, contre des tiers en cas de vente de la matière en violation de ses droits. Pour l’instant, les juridictions qui seront saisies dans le cadre des poursuites annoncées contre Orano restent indéterminées. L’affrontement juridique se poursuit donc, sans qu’aucune résolution ne se profile à l’horizon.