Le Fonds Monétaire International (FMI) vient de tirer la sonnette d’alarme concernant la situation économique en Afrique subsaharienne.
Son dernier rapport semestriel « Perspectives économiques régionales », intitulé de façon évocatrice « Recovery Interrupted » (Une reprise interrompue), dresse en effet un portrait nuancé d’une région confrontée à des défis considérables malgré des avancées notables.
Concrètement, l’année 2024 s’est soldée par une performance économique encourageante pour l’Afrique subsaharienne, avec une croissance de 4,0%, soit 0,4 point au-dessus des projections initiales.
Cette dynamique positive s’explique par plusieurs facteurs convergents : l’augmentation des investissements publics, la hausse des exportations de matières premières stratégiques comme l’or, le cacao et le café, ainsi que le dynamisme remarquable du secteur tertiaire, particulièrement au Nigeria où la croissance a été révisée à la hausse à 3,4%.
Les indicateurs macroéconomiques témoignent également d’une amélioration sensible. L’inflation régionale médiane est descendue à 4,5% en février 2025, contre 6,5% en 2023 et un pic inquiétant de 10% en 2022. Parallèlement, le ratio médian dette/PIB s’est stabilisé sous la barre symbolique des 60%, reflétant un ajustement budgétaire cumulé équivalent à 2% du PIB entre 2022 et 2024.
L’accès aux marchés internationaux s’est également renforcé, avec huit pays dont le Bénin, la Côte d’Ivoire et le Kenya ayant réussi à lever collectivement 13 milliards de dollars via des Eurobonds, un montant supérieur à la moyenne décennale.
Un ralentissement préoccupant selon le FMI pour l’Afrique en 2025
Malgré ces signaux positifs, les perspectives pour 2025 ont été revues à la baisse par le FMI.
La croissance régionale est désormais attendue à 3,8%, soit 0,2 point de moins qu’en 2024, avant un modeste rebond à 4,2% prévu pour 2026. Cette révision s’explique par trois facteurs majeurs qui fragilisent l’économie africaine.
Premièrement, l’intensification des tensions commerciales mondiales constitue une menace directe pour les exportateurs africains.
L’imposition de nouveaux droits de douane américains, pouvant atteindre jusqu’à 50% sur certains produits importés, a déclenché des mesures de rétorsion de la part de la Chine, du Canada et d’autres partenaires commerciaux.
Des pays comme le Lesotho et Madagascar, dont les exportations vers les États-Unis représentent respectivement 7,5% et 5% du PIB, figurent parmi les plus exposés à ces turbulences.
Deuxièmement, la chute des cours des matières premières, hors or et cacao, d’environ 15% depuis décembre 2024, affecte directement les recettes des pays exportateurs.
Cette baisse fragilise les équilibres budgétaires et la balance des paiements de nombreux États fortement dépendants des revenus miniers et pétroliers.
Troisièmement, le durcissement des conditions financières complique l’accès au crédit pour les économies africaines. Le spread moyen des obligations souveraines africaines a atteint 552 points de base en 2025, contre 522 en 2024, alourdissant considérablement le coût du service de la dette et maintenant plusieurs pays à l’écart des marchés financiers internationaux.
Des vulnérabilités structurelles persistantes
Le rapport du FMI met aussi en lumière des faiblesses structurelles préoccupantes. Dix-sept pays de la région affichent encore une inflation à deux chiffres, tandis qu’un tiers des États cumulent au moins trois déséquilibres macroéconomiques majeurs, comme des déficits primaires élevés, des réserves de change insuffisantes (moins de trois mois d’importations) et un endettement jugé critique.
Dans ce contexte tendu, l’aide publique au développement stagne à 51 milliards de dollars, représentant seulement 0,5% du PIB régional.
Les réductions budgétaires annoncées par les États-Unis et l’Union européenne font craindre un effondrement du financement de secteurs sociaux essentiels comme la santé et l’éducation.
Les recommandations du FMI face à la crise
Face à ces défis complexes, l’institution financière internationale formule plusieurs recommandations stratégiques.
Sur le plan budgétaire, elle insiste sur la nécessité d’élargir l’assiette fiscale, notamment en supprimant les exonérations au Nigeria et au Liberia, ou en accélérant la dématérialisation de l’administration fiscale comme au Sénégal.
Le FMI préconise également une meilleure maîtrise des dépenses publiques, principalement par la réduction des subventions aux carburants – qui représentent jusqu’à 2% du PIB en Angola et en République du Congo – et par la rationalisation de la masse salariale publique, surtout via l’identification des « travailleurs fantômes » au Tchad.
Concernant la dette souveraine, l’institution plaide pour des restructurations accélérées dans les pays en difficulté comme la Zambie et le Ghana, et pour une transparence accrue dans la gestion de l’endettement public.
Sur le plan monétaire, le maintien de taux directeurs restrictifs est recommandé pour les pays confrontés à une inflation élevée, comme le Nigeria (33,2% en 2024).
En revanche, un assouplissement ciblé pourrait être envisagé dans les économies plus stables, notamment celles de la zone franc et d’Afrique de l’Est.
L’appel à une mobilisation internationale
Le FMI souligne aussi l’importance des réformes structurelles, en particulier l’intensification de la lutte contre la corruption en République démocratique du Congo et au Mozambique, ainsi que l’accélération de la mise en œuvre de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), actuellement opérationnelle dans seulement dix pays via l’initiative pilote de commerce guidé.
L’institution appelle également les partenaires internationaux à renforcer leur soutien, plaidant pour des prêts concessionnels et des dons ciblés vers les États fragiles du Sahel ou de la Corne de l’Afrique.
Elle rappelle avoir décaissé 65 milliards de dollars depuis 2020, dont 800 millions via son instrument de résilience et de durabilité en 2025.
Dans son scénario le plus pessimiste, marqué par un durcissement prolongé des taux d’intérêt, la croissance régionale pourrait chuter de 2 points entre 2025 et 2026, avec un impact particulièrement sévère sur les pays exportateurs de pétrole, qui verraient leur activité économique reculer jusqu’à 3 points supplémentaires.
Face à ces perspectives inquiétantes, le message du FMI est clair : l’Afrique subsaharienne se trouve à un carrefour décisif où les choix politiques et économiques d’aujourd’hui détermineront sa capacité à résister aux chocs de demain et à poursuivre sa trajectoire de développement.