Dans un contexte de tensions diplomatiques croissantes, les relations entre la France et l’Algérie traversent une nouvelle crise majeure.
Face à ce qu’ils perçoivent comme un acharnement de la part de responsables politiques français, de nombreux Algériens envisagent aux micros de nos confrères de Mediapart désormais une rupture définitive avec l’ancienne puissance coloniale.
Une crise diplomatique aux multiples facettes entre la France et l’Algérie
La récente confrontation entre Paris et Alger s’articule autour de la question des laissez-passer consulaires.
Le ministre français de l’Intérieur Bruno Retailleau a engagé un bras de fer avec l’Algérie concernant le retour de ressortissants algériens faisant l’objet d’une mesure d’éloignement.
Les menaces de « rétorsion » et de « riposte graduée » évoquées par le ministre ont été catégoriquement rejetées par Alger, qui dénonce des « ultimatums » et des « velléités d’intimidation ».
Les tensions se sont manifestées concrètement lorsque l’épouse de l’ambassadeur algérien au Mali s’est vue refuser l’entrée sur le territoire français. En réponse, le 17 mars 2025, l’Algérie a rejeté la liste de personnes à expulser proposée par Paris.
Un sentiment d’agression largement partagé
De Bejaïa à Alger, en passant par Oran, l’incompréhension et l’indignation dominent parmi la population algérienne.
« Les Algériens se sentent blessés, profondément déçus par la détérioration des relations et les prises de parole politiques portées par les médias français », observe Noureddine Zerkaoui, enseignant-chercheur spécialiste de l’histoire contemporaine en Algérie.
Dalila, une sexagénaire algéroise, exprime sa lassitude face aux discours qu’elle juge stigmatisants : « La France s’est radicalisée sur le sujet de l’Algérie. Comment ont-ils pu en arriver là, au point de nier des faits historiques ? » Pour beaucoup, cette crise s’inscrit dans un contexte plus large de montée de l’extrême droite en France et de positions jugées néocoloniales.
Une distanciation déjà amorcée
La prise de distance entre les deux pays se manifeste déjà concrètement. Les universités d’Alger affichent désormais leur nom en anglais et en arabe, délaissant le français.
Air Algérie a choisi la voie de l’arabisation dès 2024, remplaçant le français par l’anglais. Dans les grandes villes comme Oran, les écoles de langues anglaise ou allemande se multiplient.
« Cela fait déjà un moment que le pouvoir français est poussé vers la sortie », constate Dalila.
« L’apprentissage du français à l’école a été remplacé par l’anglais, l’armement algérien est russe, les liens commerciaux sont italiens ou chinois… » Autant de « parts de marché récupérées par d’autres, au détriment de la France ».
Des relations économiques et stratégiques en péril
Les enjeux de cette crise dépassent largement le cadre diplomatique. « C’est dangereux, il y a des intérêts économiques et géopolitiques pour les deux pays », avertit un ancien professeur à la retraite.
Il rappelle notamment que l’Algérie a par le passé ouvert son couloir aérien pour permettre à la France de se rapprocher du Mali dans le cadre de la lutte contre le terrorisme.
La menace évoquée par Bruno Retailleau de suspendre les liaisons aériennes et maritimes entre les deux pays suscite également l’inquiétude des familles dont les membres sont répartis des deux côtés de la Méditerranée.
Un impact concret sur les projets migratoires
Pour de nombreux Algériens qui envisageaient de s’installer en France, cette crise remet en question leurs projets. Samir, médecin algérien qui espérait rejoindre l’Hexagone pour échapper à l’inflation et aux bas salaires dans son pays, hésite désormais.
« Les Français nous diabolisent alors qu’ils récupèrent les bons fruits de l’Algérie », souligne-t-il, évoquant les médecins, informaticiens ou ingénieurs algériens déjà installés en France.
« Si le Canada n’était pas si loin, on serait allés là-bas. On est nombreux à penser que la France est devenue un choix par défaut », confie-t-il.
Avant de conclure, en évoquant l’avenir de ses enfants : « Peut-être que, finalement, ce n’est pas le bon endroit. »
Une page qui se tourne ?
Si la relation historique entre la France et l’Algérie reste complexe et chargée d’émotions, la crise actuelle pourrait marquer un tournant décisif. « La gouvernance de Macron a été catastrophique pour les relations algéro-françaises », estime Noureddine Zerkaoui, pour qui « le plus grand gâchis » pour la France est d’avoir « perdu l’estime des Algériens ».
Face à cette situation, une question revient fréquemment dans les propos des Algériens rencontrés : « Retailleau veut couper les ponts avec l’Algérie, l’extrême droite veut couper avec l’Algérie, et Macron ne dit rien. Alors pourquoi pas nous ? »