« L’Afrique ne manque pas d’universités mais d’infrastructures de recherche ». Ce sont-là les propos de la sous-directrice générale de l’Unesco pour l’éducation, Stefania Giannini.
À l’occasion d’un forum sur la transformation des savoirs en Afrique, elle est revenue sur les défis pour accélérer la recherche sur le continent noir.
Du 30 septembre au 2 octobre, le siège de l’Union africaine, situé à Addis-Abeba, a accueilli le forum Transformer les savoirs pour l’avenir de l’Afrique, coorganisé par la Commission de l’Union africaine et l’Unesco.
L’objectif consiste à changer de paradigme alors que moins de 1 % de la recherche scientifique globale provient du continent. L’accent a été mis sur les chaires de l’Unesco. Il s’agit d’un réseau mondial d’universités qui soutient le travail de l’instance onusienne dans ses domaines de compétence, l’éducation, les sciences exactes et naturelles, les sciences sociales, la culture et la communication, pour relever des défis majeurs tout en contribuant au développement de leurs sociétés.
En marge de ce rendez-vous, Stefania Giannini, la sous-directrice générale de l’Unesco pour l’éducation, détaille les obstacles mais aussi la stratégie pour accélérer la recherche en Afrique.
Mais pour elle, il est évident que l’Afrique ne manque pas d’universités. Pour elle, le vrai problème se trouve ailleurs.
Lire ci-dessous, l’intégralité de sa déclaration :
Pourquoi est-il nécessaire, comme l’indique le titre du forum qui vient de s’achever au siège de l’Union africaine, de « transformer les savoirs pour l’avenir de l’Afrique » ?
Stefania Giannini : La dimension de la connaissance et des savoirs peut faire de l’Afrique à nouveau un acteur en première ligne. D’abord grâce à sa richesse de diversité culturelle avec son patrimoine matériel et immatériel qui, à condition d’être bien valorisé et disséminé en termes de relations et de partenariats, peut vraiment devenir une des clés pour façonner les grands défis actuels. Par exemple, les savoirs autochtones jouent un très grand rôle pour faire face au changement climatique, mais ils ne sont pas encore assez valorisés et connus en dehors des territoires locaux.
L’autre dimension, c’est la jeunesse, qui contribue également à la richesse du continent. Aujourd’hui, il y a près de 300 millions de jeunes de 15 à 24 ans. Ils constituent le trésor de l’Afrique. Leur développement personnel et professionnel passe inévitablement par l’éducation. Il faut leur donner la possibilité de décider de leur parcours de connaissances et d’apprentissage. Lors de la séance d’ouverture du forum, j’ai cité le manifeste Éduquer ou périr de Joseph Ki-Zerbo : l’éducation n’est pas seulement un droit mais aussi un devoir.
Quels sont les obstacles au développement de la recherche en Afrique ?
Ils se situent à trois niveaux. Les instituts de recherche ne disposent pas de suffisamment d’assurance de qualité ni de coopération à la fois intra et intercontinentale. Les outils ne sont pas assez développés pour choisir les priorités sur lesquelles se concentrer. L’Afrique ne manque pas d’universités mais d’infrastructures de recherche pour mettre en relation les universités, le secteur privé, les systèmes éducatifs, au moins au niveau des écoles secondaires, et surtout les systèmes de gouvernance de ces écosystèmes ne sont pas assez développés. Cela découle d’un retard historique lié au manque d’accès à l’éducation, qui reste un problème. Il faut développer une stratégie simultanée.
Le deuxième point faible vient du rôle marginal que joue l’enseignement supérieur tant en Afrique qu’au niveau des pays donateurs. L’éducation n’est pas encore la priorité, bien que l’Union africaine ait dédié l’année 2024 à l’éducation. Les gouvernements africains n’ont pas la liberté d’investir les ressources nationales sur l’éducation, en particulier sur l’enseignement supérieur. Il faut donc travailler sur l’importance de l’enseignement supérieur et, en même temps, négocier avec les donateurs pour donner aux gouvernements locaux un espace fiscal plus flexible. Enfin, la qualité de la recherche et de la formation universitaire en Afrique nécessite la mise en place d’un contrôle. La plateforme globale que l’Unesco met à la disposition du système africain devrait servir de levier.
Quels moyens concrets sont mis en place pour remédier à ce retard ?
Nous avons lancé, il y a deux ans, un cadre de référence à travers l’initiative Campus Afrique qui se structure autour de trois piliers. Il s’agit d’abord de soutenir la capacité des pays et des communautés académiques à travers la plateforme de l’Unesco, de leur permettre de partager les expériences positives issues des autres régions et du continent pour créer un écosystème de la recherche. Cet écosystème existe déjà, notamment au Rwanda qui a déjà fait un grand travail au niveau universitaire, surtout sur le numérique et la transformation digitale, mais son renforcement est indispensable.
Le deuxième pilier concerne les universités qui forment les chercheurs, contrairement aux universités de formation qui s’arrêtent à la licence ou au master. Lors de la conférence générale de l’Unesco en 2022, beaucoup de ministres africains nous ont demandé une coopération pour renforcer et/ou établir des universités proposant des doctorats. Encore une fois, l’Unesco est une plateforme qui peut instaurer un soutien de pair à pair (« peer to peer » en anglais) intra et intercontinental, y compris des bourses d’études.
Le troisième pilier est le côté formation technique et professionnelle post-secondaire. Le développement de ces compétences techniques est en effet nécessaire pour résoudre l’équation de la jeunesse et du besoin dramatique de création d’emplois. Cela s’inscrit dans une vision plus ample de la formation tout au long de la vie que nous défendons à l’Unesco. Depuis 2018, sous l’impulsion de la directrice générale Audrey Azoulay, nous avons augmenté le budget pour l’éducation de 79 %, passant de 385 millions de dollars à 691 millions de dollars, dont 30 % du budget intégré est alloué à Priorité Afrique.