Le Premier ministre malien, Choguel Kokalla Maïga, nommé par les militaires, a repoussé à un avenir indéterminé le retour des civils au pouvoir en le conditionnant à une stabilisation définitive de ce pays confronté à une grave crise sécuritaire.
M. Maïga, qui s’exprimait jeudi, est le premier haut responsable à fournir un vague horizon de rétrocession de pouvoir depuis que les militaires ont manqué à leurs engagements d’organiser la présidentielle en février puis de céder la place d’ici au 26 mars.
Le non-respect de ces engagements, pris de longue date sous la pression de la Communauté des Etats ouest-africains, a réveillé un certain nombre de partis et organisations quasiment réduits au silence par les colonels qui ont renversé par la force le président civil Ibrahim Boubacar Keïta en 2020.
Les protestations ont redoublé depuis mercredi avec la décision de suspendre « jusqu’à nouvel ordre » les activités des partis, accusés de « subversion ». Elles se sont amplifiées avec l’interdiction faite jeudi aux médias de couvrir l’actualité des partis.
Le Premier ministre s’est employé à justifier ces mesures en déclarant que les élections auraient lieu une fois que le pays, confronté aux agissements des groupes armés jihadistes et indépendantistes et plongé depuis 2012 dans une crise multidimensionnelle profonde, serait définitivement stabilisé.
« La phase de stabilisation doit atteindre un point de non-retour, un point suffisamment stable pour pouvoir organiser des élections », a-t-il dit sans énoncer de délai, dans des propos diffusés jeudi soir par la télévision d’Etat.
Il a assuré que le Mali avait recouvré par les armes le contrôle de l’intégralité de son territoire depuis qu’il a rompu l’alliance avec la France et ses partenaires européens en 2022 et s’est tourné militairement et politiquement vers la Russie.
Mais la stabilité ne sera possible qu’après l’achèvement d’un dialogue national lancé le 31 décembre par le chef de la junte, le colonel Assimi Goïta, a-t-il dit.
Ce dialogue doit s’ouvrir au niveau local samedi avant d’être mené au niveau national à partir du 6 mai. On ignore combien de temps serait nécessaire à la mise en oeuvre de ses conclusions.
– « Répression incessante » –
La réussite de ce dialogue et la stabilisation « sont les conditions sine qua non pour fixer la date d’une élection », a dit M. Maïga.
L’argument sécuritaire est régulièrement invoqué par ceux qui veulent voir rester les militaires. La junte a cependant organisé un référendum en juin 2023 pour doter le pays d’une nouvelle constitution, un projet porté par le régime et approuvé à 97 %.
Le 31 mars, quelques jours après la date initialement prévue pour un départ des militaires, certains des principaux partis et organisations de la société civile se sont émus dans une rare déclaration commune d’un « vide juridique et institutionnel », et ont réclamé des élections « dans les meilleurs délais ».
L’un des principaux partis maliens, l’Adéma, a indiqué vendredi qu’il boycotterait le dialogue initié par la junte. Dans un communiqué, il juge « illégale » une suspension qui vise selon lui « les seuls acteurs reconnus » de la vie politique. Des acteurs politiques ont relevé la contradiction entre l’ouverture d’un dialogue et le coup d’arrêt au travail des partis.
L’ONG de défense des droits humains Human Rights Watch a pressé la junte de revenir « immédiatement » sur une décision qui viole les lois malienne et internationale, et qui est la continuation d’une « répression incessante ».
Le régime a largement fait taire opposants, journalistes et défenseurs des droits humains, nombreux à avoir été condamnés, inquiétés ou conduits à l’exil.
La suspension des activités des partis « ne peut qu’aggraver les tensions et compromettre davantage la stabilité déjà fragile du Mali », a affirmé l’ancien Premier ministre Boubou Cissé dans un message transmis à l’AFP, où il s’inquiète de « la catastrophe qui vient ».
Le Premier ministre a fustigé un « angélisme démocratique ». Il a accusé ceux qui réclament des élections dans les meilleurs délais de servir les intérêts des « ennemis du Mali » qui chercheraient à faire élire un « président faible » et influençable. M. Maïga, qui ne nomme personne, s’est signalé comme un ardent contempteur de la France.
Avec AFP
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