De mon point de vue, je pense que la Côte d’Ivoire et d’autres pays de la CEDEAO ne vont pas décider d’appliquer des visas simplement parce qu’à nouveau les relations sont difficiles et parce que les États du Sahel se seraient retirés de la CEDEAO. Ce sont-là les déclarations de Gilles Yabi, fondateur de Wathi, le think tank citoyen d’Afrique de l’Ouest.
En ligne de Dakar, il a répondu aux questions du journaliste de RFI, Christophe Boisbouvier.
A en croire l’invité de Radio France, la politique des visas mise en place par l’AES ne va pas forcément être appliquée par la CEDEAO et d’autres pays de la CEDEAO.
Lire ci-dessous, l’intégralité de son interview sur le sujet :
Les trois pays de l’AES quittent la CEDEAO. Mais, en même temps, ils se disent prêts à maintenir sur leur territoire une exemption de visa pour les ressortissants de la CEDEAO. Pourquoi ce geste ?
Je crois qu’il s’agit de montrer d’une certaine manière qu’ils ne sont pas dans une approche de rupture brutale avec les autres pays de la communauté. Et peut-être de manière aussi très pragmatique, je pense que les dirigeants de ces trois États sont tout à fait conscients de l’importance des relations économiques avec les pays voisins côtiers. Ils connaissent les chiffres des flux migratoires entre leur pays et les pays voisins.
Lorsqu’on regarde les corridors les plus importants, on va voir les corridors Burkina Faso – Côte d’Ivoire ou Mali – Côte d’Ivoire par exemple, qui sont très importants. Donc, ça veut dire que vous avez énormément de populations sahéliennes qui vivent dans ces pays, en particulier la Côte d’Ivoire, mais aussi le Sénégal.
Et donc, le fait de décider qu’il y aura une exemption de visa pour les ressortissants des pays membres de la CEDEAO est une manière d’amener la Cédéao à décider de maintenir une exemption de visa pour les populations sahéliennes.
Est-ce que, par exemple, les autorités ivoiriennes vont être prêtes à accorder cette réciprocité, cette exemption de visa, aux quelque six millions de Maliens et de Burkinabè qui vivent sur le territoire ivoirien ?
On ne doit pas perdre de vue les enjeux les plus importants qui concernent les populations. De mon point de vue, je pense que la Côte d’Ivoire et d’autres pays de la CEDEAO ne vont pas décider d’appliquer des visas simplement parce qu’à nouveau les relations sont difficiles et parce que les États du Sahel se seraient retirés de la CEDEAO.
Ce que demandent les trois pays de l’AES, est-ce que ce n’est pas une Cédéao à la carte ? Une Cédéao dont ils garderaient les avantages économiques tout en se débarrassant des inconvénients politiques ?
Alors c’est vrai que, derrière la question de la sortie des pays de l’AES, se pose aussi la question du choix de continuer à croire en un idéal d’intégration politique avec des valeurs, avec des principes de convergence constitutionnelle. Cela est vraiment tout ce qui a été consigné dans le protocole additionnel sur la démocratie et la bonne gouvernance de 2001.
Et, aujourd’hui, très clairement, on a une partie des dirigeants de la région qui ne croient pas vraiment à la mission d’intégration politique. Le risque est de dire que, pour faire revenir ces États ou pour s’assurer que d’autres ne vont pas partir, on va renoncer aux dispositions du protocole additionnel de la démocratie et de la bonne gouvernance.
Et, de mon point de vue, ce serait évidemment extrêmement dangereux parce qu’au fond, on risque d’avoir le retour à des régimes autoritaires où chaque dirigeant fera ce qu’il veut dans son pays. Et ça, on l’a déjà connu par le passé.