La Côte d’Ivoire en vient à défier les géants que sont l’Inde, la Chine, l’Europe et l’Amérique sur le marché mondial de la noix de cajou.
En effet, le premier producteur mondial pourrait transformer 50% de sa production dès la fin de 2025, remettant en question la domination asiatique sur ce secteur lucratif.
Cette transformation locale de la production de Côte d’Ivoire représente un véritable défi lancé aux géants économiques que sont l’Inde, la Chine, l’Europe et l’Amérique. En effet, ces régions dépendent largement des noix brutes africaines pour alimenter leurs industries de transformation.
En 2024, la Côte d’Ivoire a transformé 30% de sa production d’anacarde, soit sept fois plus qu’en 2018. Cette performance s’explique par une stratégie gouvernementale bien pensée. Le pays a mis en place des taxes sur les exportations brutes et accordé des subventions aux usines locales. Parallèlement, une dizaine d’usines sont actuellement en construction sur le territoire ivoirien.
Historiquement, 85% des noix brutes africaines partaient vers l’Asie pour y être transformées. Ces noix décortiquées et torréfiées étaient ensuite vendues beaucoup plus cher sous des marques occidentales. Cette situation privait l’Afrique de la valeur ajoutée de sa propre production.
L’expert Pierre Ricau de Nitidae confirme cette évolution : l’Afrique est passée de moins de 5% à près de 15% de transformation locale en quelques années. Cette progression bénéficie principalement à la Côte d’Ivoire, mais aussi au Bénin et au Nigeria dans une moindre mesure.
Le marché mondial reste largement dominé par l’Asie et l’Occident. L’Afrique produit 62% des noix de cajou mondiales, mais transformait très peu sa production jusqu’à récemment. L’anacardier, introduit dans les années 1960 pour la reforestation, est devenu particulièrement populaire, car sa culture est peu coûteuse et peu exigeante.
L’Inde est la preuve parfaite de cette stratégie de protection du marché domestique. Premier consommateur mondial, ce pays a renforcé ses barrières douanières pour protéger son industrie locale. Résultat : l’Inde produit, transforme et consomme ses propres amandes. Cette approche contraste avec l’Europe et l’Amérique du Nord, qui importent toujours massivement des noix africaines transformées au Vietnam.
En 2024, 83% de la production ouest-africaine d’anacarde a été exportée vers trois pays asiatiques : le Vietnam, l’Inde et la Chine. Ces chiffres montrent l’ampleur du défi que représente la stratégie ivoirienne.
La Côte d’Ivoire mise sur l’industrialisation pour reprendre le contrôle de sa filière. Entre 2010 et 2024, le nombre d’unités industrielles est passé de 2 à 30, avec une capacité totale de 350 000 tonnes. Cette expansion crée 15 000 emplois, dont 70% occupés par des femmes.
Les champions locaux s’appellent Olam Food Ingredients (OFI) et Dorado Ivory, filiale du groupe indien Royal Nuts. L’usine d’Assemboué de Dorado Ivory peut traiter 60 000 tonnes par an et constitue « la plus grande et la plus automatisée du monde » selon Pierre Ricau. La société vietnamo-ivoirienne Quang Thien Imex traite également plus de 50 000 tonnes annuellement.
Cette dynamique s’étend à d’autres pays ouest-africains. Le Bénin a interdit l’exportation de noix brutes en début de campagne pour favoriser les transformateurs locaux. Le Togo a adopté la même stratégie. Depuis 2018, la production d’amandes a été multipliée par 4 au Bénin et par 3 au Togo.
Ces politiques protectionnistes offrent des avantages aux producteurs locaux. Certes, les prix au producteur sont légèrement inférieurs, mais ils restent plus stables et moins volatils. Cette stabilité profite à long terme aux économies locales qui dépendent moins des fluctuations de la demande asiatique.
Cependant, cette expansion rapide soulève des préoccupations environnementales. L’agriculture ivoirienne a déjà détruit 90% des forêts du pays en trois décennies. L’ONG Mighty Earth craint que le boom du cajou aggrave cette déforestation. Elle recommande aux industriels d’investir dans des pratiques agricoles durables.
Sur le plan sanitaire, les risques liés à l’huile caustique contenue dans les coques sont désormais maîtrisés grâce à la robotisation. Cette automatisation a remplacé le travail manuel dangereux dans la majorité des usines ivoiriennes.
La transformation locale ouvre également des perspectives énergétiques prometteuses. Les coques de cajou, actuellement gaspillées en énormes volumes, peuvent alimenter des filières de biocarburants. Elles peuvent aussi être valorisées dans la production d’énergie ou la chimie verte. Cette diversification pourrait renforcer la compétitivité ouest-africaine face à la concurrence asiatique.