Parmi les plus de 150 parties civiles, défendues par une cinquantaine d’avocats, figure Amandine Iehlen, dont le père Damien est mort en 2008 d’un arrêt cardiaque lors d’une opération du rein. Il avait reçu une dose de lidocaïne, un anesthésique local, dix fois supérieure à la normale.
Dix-sept ans après, Mme Iehlen, aujourd’hui présidente de l’association de victimes, a confié à la presse avoir « hâte d’entendre la voix du docteur Péchier et d’avoir des réponses ».
Le médecin de 53 ans est accusé d’avoir sciemment empoisonné 30 patients, âgés de quatre à 89 ans, dont 12 sont morts, entre 2008 et 2017 dans deux cliniques privées de Besançon.
« Dénominateur commun » de ces empoisonnements, accablé par « un faisceau d’éléments concordants », selon l’accusation, Frédéric Péchier, qui a toujours clamé son innocence, encourt la réclusion criminelle à perpétuité. Il n’a pourtant jamais été incarcéré depuis le début de l’enquête, les juges ayant choisi de le laisser libre, sous contrôle judiciaire.
La justice l’a autorisé en 2023 à exercer sous conditions son métier de médecin tant qu’il n’entre pas en contact avec des malades, mais il n’exerce plus depuis 2017.
Etiquette d’empoisonneur
Pour l’avocat Lee Takehdmit, son client « est un homme qui a consacré sa vie à la médecine et qui, jusqu’à ce qu’il soit prouvé qu’il peut lui être reproché tous ces crimes, est quelqu’un de très respectable, qui a toujours œuvré au bénéfice commun ».
« Lui coller une étiquette d’empoisonneur », c’est « aller un peu vite en besogne », fustige le conseil.
Son autre avocat, Me Randall Schwerdorffer, a dénoncé huit ans d’enquête « menée exclusivement à charge ».
Le Dr Péchier est soupçonné d’avoir introduit des substances létales dans les poches de perfusion de malades pris en charge par ses collègues, pour provoquer des arrêts cardiaques, avant d’aider souvent à les réanimer.
A partir de lundi et pour deux semaines, la cour se penchera sur les cas les plus récents, ceux qui ont éveillé les soupçons des enquêteurs et abouti à l’inculpation du médecin en mars 2017.
Sandra Simard, 36 ans en janvier 2017, a fait un arrêt cardiaque (auquel elle a survécu) au cours d’une opération à la clinique Saint-Vincent. Une dose potentiellement létale de potassium avait été découverte dans une poche de soluté utilisée pour son anesthésie.
Jean-Claude Gandon, 70 ans à l’époque, est la dernière victime connue de la série d’empoisonnements. Seul parmi les 30 victimes à avoir été anesthésié directement par Frédéric Péchier, il a aussi pu être réanimé.
Au fil des semaines suivantes seront examinés chacun des empoisonnements reprochés au médecin, en commençant par les plus anciens.
Conflit avec des collègues
Dans cette affaire « sans équivalent dans les annales judiciaires françaises » selon le Parquet, l’anesthésiste est soupçonné « d’avoir empoisonné des patients en bonne santé, pour nuire à des collègues avec lesquels il était en conflit » et démontrer ensuite ses qualités de réanimateur, avait relevé précédemment le procureur de la République alors en poste à Besançon, Etienne Manteaux.
Soulignant « l’omniprésence (du Dr Péchier) dans la gestion des réanimations en cas d’arrêts cardiaques » et « ses diagnostics précoces », il avait décrit « un professionnel de santé particulièrement habile qui a agi lorsque personne ne se trouvait dans les salles d’anesthésie et qui a su varier dans le temps la nature des poisons administrés pour ne pas éveiller les soupçons ».
« C’est un dossier vertigineux », constate Me Frédéric Berna, qui assistera de nombreuses parties civiles. « Ce sont des empoisonnements, purement gratuits, de victimes qui n’ont rien à voir avec lui, qui n’ont jamais rien fait », note l’avocat.
Le verdict est attendu le 19 décembre.
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