Brouillages massifs, espionnage de satellites, menace d’armes nucléaires dans l’espace : face aux agissements, de la Russie, le président Emmanuel Macron a annoncé mercredi l’octroi de 4,2 milliards d’euros supplémentaires pour renforcer la défense spatiale de la France, un effort nettement inférieur à celui de l’Allemagne.
En présentant la nouvelle stratégie spatiale française à l’horizon 2040, le chef de l’État a également prôné le développement des futurs lanceurs européens réutilisables afin de gagner en compétitivité face à SpaceX, l’entreprise du milliardaire Elon Musk.
« La guerre d’aujourd’hui se joue déjà dans l’espace et la guerre de demain commencera dans l’espace », a déclaré le président français à Toulouse (sud), au siège du Commandement de l’espace, qu’il venait d’inaugurer.
« Nous vivons l’espionnage, par exemple par la Russie, de nos satellites par des vaisseaux patrouilleurs, les brouillages massifs des signaux GPS, les attaques cyber contre nos infrastructures spatiales, les essais de missiles antisatellites, le développement d’armes antisatellites (…) et même la menace russe, particulièrement choquante, d’armes nucléaires dans l’espace », a-t-il détaillé.
« Nos compétiteurs ne nous attendent pas et disposent aujourd’hui de capacités d’action dans l’espace et vers l’espace », comme des lasers déployés à la surface terrestre qui « visent à nous priver de notre liberté d’action et à fragiliser notre souveraineté », a-t-il ajouté.
Pour répondre à ces défis, le président a annoncé qu’il entendait octroyer 4,2 milliards d’euros en plus des 6 milliards déjà prévus pour le spatial militaire d’ici 2030, dans le cadre de l’actualisation de la loi de programmation militaire.
S’y ajouteront « plus de 16 milliards d’euros pour le spatial français civil, en incluant les activités duales » (civiles et militaires), a-t-il poursuivi.
Déclassement ?
C’est toutefois bien en deçà des 35 milliards d’euros que le ministre allemand de la Défense, Boris Pistorius, a promis d’investir d’ici 2030 dans la défense spatiale allemande afin de contrer les capacités militaires de la Russie et de la Chine.
La France apparaît donc en position de faiblesse avant la conférence ministérielle de l’Agence spatiale européenne (ESA), prévue les 26 et 27 novembre à Brême, en Allemagne, où seront déterminés les priorités et budgets spatiaux pour les trois années à venir.
« Il y a un ensemble d’indicateurs qui montrent que la France est en perte de vitesse dans le contexte spatial européen par rapport à l’Allemagne et à l’Italie. C’est un phénomène inédit », a souligné auprès de l’AFP Pierre Lionnet, directeur de recherche à Eurospace, qui regroupe les industriels européens du secteur.
Il a cité une enquête réalisée par Eurospace en juillet, selon laquelle « l’industrie spatiale française est en légère récession sur le chiffre d’affaires, alors que l’ensemble des acteurs industriels européens, et notamment les Allemands et les Italiens, affichent un chiffre d’affaires et des emplois en croissance ».
L’instabilité politique et l’absence de budget en France n’aident pas à l’approche de la conférence ministérielle de l’ESA.
Bromo : la France à risque face à l’Italie, l’Allemagne et plus tard la Russie
Dans ce contexte, Emmanuel Macron a insisté sur l’abandon du principe fondateur de l’ESA, celui du « retour géographique », qui garantit que chaque État membre récupère, sous forme de contrats industriels, une part des investissements proportionnelle à sa contribution au budget de l’agence.
Ce principe « a eu sa justification et son utilité à une époque, mais nous devons désormais tourner la page » afin que « nos champions européens soient compétitifs », a-t-il insisté.
Il a également souhaité le développement de futurs lanceurs spatiaux réutilisables et la modernisation de la base spatiale européenne de Kourou, en Guyane française, « pour en faire un lieu agile, ouvert aux petits lanceurs et à des partenaires étrangers ».
Le président a salué la méga-fusion engagée fin octobre entre les poids lourds européens du domaine des satellites — Airbus, Thales et Leonardo —, qui « permet de créer la masse critique » et « de réduire la concurrence interne ».
Mais pour Pierre Lionnet, l’affaiblissement de la France face à l’Italie et à l’Allemagne mettrait en péril les emplois dans l’Hexagone dans le cadre de ce projet baptisé Bromo.
« Les syndicats ont averti des risques de démantèlement de l’outil industriel, de licenciements. Ces risques sont réels », met-il en garde.