« Regardez ces beaux épis de blé », s’exclame fièrement le scientifique éthiopien Wuletaw Tadesse Degu, en inspectant un champ, près de Rabat, semé de graines supportant la sécheresse, devenues « essentielles » pour un pays menacé par les changements climatiques comme le Maroc.
La petite localité rurale de Marchouch, à 70 kilomètres au sud-est de la capitale, abrite depuis 2013, sur une superficie de 120 hectares, une importante station expérimentale du Centre international de recherche agricole dans les zones arides (Icarda) qui développe des variétés, notamment céréalières, résilientes aux aléas climatiques.
Ses champs de blé et d’orge, verdoyants et aux épis garnis, contrastent avec la situation critique du pays où la saison agricole est compromise par une sixième année consécutive de sécheresse.
Les faibles précipitations ont réduit la surface emblavée de céréales de 3,7 millions en 2023 à 2,5 millions d’hectares prévus pour 2024, d’après la Banque centrale marocaine.
Cette année, la production céréalière devrait être divisée par deux à 25 millions de quintaux contre 55,1 millions en 2023, poussant le pays vers davantage d’importations, selon la même source.
« La différence de qualité entre notre terrain et ceux d’autres agriculteurs est frappante. Il devient essentiel d’adopter les graines résilientes et de les déployer rapidement », explique à l’AFP M. Tadesse, à la tête du programme d’amélioration du blé tendre de l’Icarda, qui dispose de six laboratoires et une banque de gènes à Rabat.
Potentiel
Selon l’expert éthiopien, le potentiel de ces variétés réside également dans l’amélioration du rendement : en 2023, la productivité céréalière était en moyenne d’une à deux tonnes par hectare au Maroc.
A Marchouch, elle a été de quatre tonnes par hectare avec seulement 200 millimètres de pluies, la moitié de ce que reçoit la région en temps normal, grâce aux variétés résistantes à la sécheresse mais aussi à une gestion agricole optimale: choix du moment idoine pour semer, quantités adaptées et recours exceptionnel à l’irrigation (10 mm d’eau sur une partie des 120 hectares).
La production d’orge est elle montée de 1,5 tonne à deux tonnes par hectare avec des variétés résilientes dans des conditions climatiques sévères, souligne Miguel Sanchez Garcia, spécialiste d’amélioration d’orge à l’Icarda.
Un potentiel énorme qui suscite l’intérêt dans le monde.
Pour le blé seul, plus de 300 lignées prometteuses, développées principalement au Maroc grâce au croisement et transfert de gènes à partir de graines de blé sauvage et d’ancêtres du blé, sont envoyées chaque année à 90 programmes nationaux de création variétale dans le monde, indique Ahmed Amri, chercheur en ressources génétiques de l’Icarda.
Ce centre de recherche agricole est présent dans 17 pays d’Afrique, du Moyen-Orient et d’Asie centrale.
Ces lignées prometteuses sont testées localement, au moins sur trois ans, et les plus performantes sont mises sur le marché. Au cours des dix dernières années, plus de 70 variétés de blé issues des recherches de l’Icarda ont été enregistrées dans plusieurs pays.
« Lenteur du système »
L’année dernière, le royaume a homologué six nouvelles variétés de blé et d’orge mais elles ne sont pas encore parvenues aux agriculteurs faute d’un système de multiplication et de distribution des graines « efficient », selon les chercheurs de l’Icarda.
Une fois les graines homologuées, elles sont mises en concurrence pour le droit de multiplication puis une fois qu’une entreprise a acquis ce droit, le processus prend cinq ans.
« Il y a une lenteur du système de certification de la semence qu’il faudrait revoir rapidement », concède Moha Ferrahi, chef du département amélioration de l’Institut national de la recherche agronomique.
Le responsable marocain déplore aussi le peu d’implication du secteur privé qui préfère acheter « des graines étrangères pour avoir un retour sur investissement rapide alors que ces graines ne sont pas adaptées aux conditions climatiques du Maroc ».
Un manque à gagner important pour le royaume, en proie à des sécheresses successives, où un Marocain consomme en moyenne 200 kg de blé par an, soit trois fois plus que la moyenne mondiale, selon des données officielles.
« Contrairement à des pays comme l’Egypte ou l’Ethiopie, le Maroc a choisi la libéralisation du marché », note M. Amri, convaincu que ces lacunes seront rattrapées par le programme agricole national « Génération green 2020-2030 », avec l’adoption renforcée des nouvelles variétés résilientes.
Avec l’AFP
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