Dans un centre culturel d’Abidjan, des dizaines d’étudiants ivoiriens répartis par équipes réfléchissent, chronomètre en main : le temps d’un concours, ils doivent fabriquer des robots pour imaginer le futur de l’agriculture, boudée jusque-là par la jeunesse.
La compétition s’inscrit dans une tendance plus large visant à intégrer la technologie à l’agriculture, pilier de l’économie ivoirienne. Dominée par le cacao, l’hévéa et la noix de cajou, l’agriculture représente près de la moitié de la population active.
« La passion pour la robotique est venue accroître mon envie d’améliorer les conditions dans lesquelles mes parents avaient l’habitude de cultiver », confie à l’AFP Pélé Ouattara, 20 ans, étudiant à l’Institut national polytechnique Félix Houphouët-Boigny (INPHB) et fils d’agriculteurs.
Quelques mètres plus loin, dans une équipe adverse, Urielle Diaidh, 24 ans, est inscrite à l’Université polytechnique de Bingerville. « Sans les nouvelles technologies, l’agriculture risque de s’éteindre », dit-elle.
La mécanisation stagne à moins de 30 % dans ce secteur et la main-d’oeuvre vieillissante peine à se renouveler, selon le Centre national de recherche agronomique (CNRA), qui a annoncé en mai l’intégration à venir de nouvelles technologies dans ses programmes.
« L’agriculture 4.0 », thème du concours, « c’est une agriculture améliorée, augmentée au travers des nouvelles technologies, que ce soient des robots, des drones, l’intelligence artificielle, le traitement de données qui vont permettre d’aider l’agriculteur », assure Paul-Marie Ouattara, 27 ans, ingénieur en transformation digitale pour une entreprise privée et à l’initiative du concours.
Entouré de petits robots blancs en mouvement sur des circuits, il dit constater « un intérêt réel des jeunes pour cette agriculture 4.0 ». En Côte d’Ivoire qui accueille ce mois-ci son premier salon de la tech Ivoire Tech Forum, 75 % de la population a moins de 35 ans.
– Alléger, un travail « pénible »
Au ministère de la Transition numérique et de la Digitalisation, le directeur de l’Innovation et du secteur privé, Stéphane Kounandi Coulibaly, note une « augmentation » du nombre de start-ups spécialisées dans l’« agritech » – nom de ce secteur à l’essor mondial -, souvent dirigées par des jeunes.
Une tendance également observée au Bénin, au Nigeria ou au Kenya.
Dans le cacao par exemple, dont la Côte d’Ivoire est premier producteur mondial (40 %), « on a remarqué l’apparition des nouvelles technologies depuis 4 ou 5 ans », relève le secrétaire général de la centrale des syndicats de producteurs de cacao, Thibeaut Yoro.
Il rapporte l’utilisation de nouvelles machines pour alléger un travail « pénible » aux « pratiques archaïques ».
« On creuse, on débroussaille, on cueille à la machette », déplore-t-il. Résultat, les planteurs se plaignent « de maux de dos, de la fatigue, ils ne peuvent pas travailler longtemps », dit-il.
« Ce sont des choses qui peuvent être changées avec les nouvelles technologies », affirme M. Yoro, mais pour qui ?
Pour pulvériser des pesticides, l’achat d’un drone de 10 ou 20 litres peut coûter respectivement 3 ou 9 millions de francs CFA (4.573 ou 13.720 euros). Soit 3 ou 9 fois le revenu en six mois d’un planteur moyen, propriétaire d’un hectare et de 500 kilos de cacao, selon le prix fixé en avril.
Des entreprises ivoiriennes proposent de faire baisser la facture, en louant leurs services.
Dans la campagne verdoyante qui entoure Tiassalé, à 125 km d’Abidjan, Faustin Zongo a fait appel à une société pour pulvériser son champ de fruits de la passion avec des pesticides grâce à un drone : 10 minutes et 15.000 francs CFA (22,8 euros) par hectare.
Avec les méthodes traditionnelles, « pour un hectare, il faut deux jours », dit-il.
– « Rendement optimisé » –
A ses côtés, la cheffe de projet pour l’entreprise Investiv – à qui M. Zongo a fait appel – confirme que l’agriculture de précision, à base de matériel technologique souvent d’ailleurs importé de Chine, rend le secteur « plus attractif ».
« Il y a de plus en plus de jeunes qui font un retour à la terre et viennent vers nous », affirme Nozéné Blé Binaté, 42 ans.
L’entreprise Jool propose de son côté une analyse de données par un logiciel, à partir de quelques dizaines de milliers de francs CFA (quelques dizaines d’euros).
Dans ses bureaux situés en périphérie d’Abidjan, son créateur Joseph-Olivier Biley, un fils d’agriculteur de 32 ans, s’enthousiasme : son logiciel, vante-t-il, permet de « savoir quoi planter, où, comment », « détecter les maladies avant qu’elles ne se propagent » et même anticiper un rendement, « optimisé de plus de 40 % ».
Avec AFP