A l’approche de la présidentielle d’octobre, les arrestations d’opposants se multiplient en Côte d’Ivoire. Un classique dans l’histoire politique du pays qui relance les critiques envers son système judiciaire, accusé d’être « inféodé au pouvoir ».
Ancien ministre, cadre du parti au pouvoir, le RHDP du président Alassane Ouattara, Joël N’Guessan ne s’attendait sans doute pas à atterrir en cellule en dénonçant les décisions de justice excluant de la course à la présidentielle quatre figures de l’opposition, dont Tidjane Thiam et l’ancien président Laurent Gbagbo, rival historique du chef de l’Etat.
« Si demain il y a des troubles dans le pays, les premiers responsables ce sont les magistrats », a-t-il déclaré le 17 juin dans la presse. Le lendemain, il était interpellé et incarcéré pour avoir « jeté le discrédit sur des décisions de justice ».
Il a finalement été mis en liberté provisoire trois semaines plus tard, après s’être platement excusé pour ses propos.
D’autres n’ont pas eu cette chance, notamment dans l’opposition et particulièrement au PDCI, principal rival du RHDP et première cible de la vague d’arrestations observée ces derniers mois.
Depuis début juin, au moins cinq responsables de la jeunesse du PDCI ont été arrêtés et incarcérés notamment pour « troubles à l’ordre public ».
Le PPA-CI de Laurent Gbagbo a également été ciblé.
Fin juin, Gala Kolebi, sociologue et militant chargé de la communication du parti, a été condamné à 18 mois de prison pour « diffusion de fausses nouvelles ».
Charles Rodel Dosso, secrétaire général adjoint du PPA-CI, soupçonné d’avoir co-organisé une manifestation non-autorisée contre la vie chère, est incarcéré depuis octobre pour « troubles à l’ordre public », dans l’attente de son procès.
« Un prétexte », balaie son avocat Maître Kano Blé, qui dénonce auprès de l’AFP une « répression contre l’opposition politique » menée par des juges « inféodés au parti au pouvoir ».
– « Une constante malheureuse » –
Les arrestations des opposants sont « une constante malheureuse en Côte d’Ivoire » et sur le reste du continent, observe le politologue Geoffrey Kouao, en rappelant qu’Alassane Ouattara lui-même avait fait l’objet d’un mandat d’arrêt lorsqu’il était opposant, et avait été exclu de la course présidentielle en 1995 et 2000.
« Les opposants ont toujours parlé de justice aux ordres, mais arrivés au pouvoir, ils ne font pas les réformes nécessaires pour renforcer son indépendance », regrette M. Kouao.
« Le pouvoir judiciaire s’est pleinement mobilisé pour soutenir le troisième mandat du président Ouattara et continue de soutenir sa politique », a de son côté souligné l’ONG Freedom House dans son rapport de 2024 sur la Côte d’Ivoire. Le chef de l’État, âgé de 83 ans et au pouvoir depuis 2011, continue d’entretenir le suspense sur sa candidature.
Selon le PDCI, le président de la jeunesse universitaire du parti aurait été « enlevé par des individus non identifiés ».
« Les opposants sont enlevés à leur domicile par des hommes armés, sans explication, plutôt que d’être simplement convoqués », dénonce Pulchérie Gbalet, représentante de la société civile, qui a elle-même été arrêtée et emprisonnée à deux reprises, en 2020 et 2022.
– Conditions de « crise » –
Selon l’avocat du PDCI, Emile Suy Bi Gohoré, il est « très difficile de ne pas faire un lien » entre les arrestations et les élections à venir, même si cela reste difficile à prouver.
Des allégations qu’opposants et observateurs n’assument qu’à demi-mot, de peur d’être à leur tour mis en cause.
L’instrumentalisation de la justice par le pouvoir, « ce n’est pas nouveau », « mais ça s’accentue avant les élections », souligne le directeur exécutif d’Amnesty International en Côte d’Ivoire, Hervé Delmas Kokou.
Son ONG dénonce notamment une loi de 2019 qui pénalise le fait de « porter atteinte à l’autorité de la justice » en critiquant « un acte ou une décision judiciaire », et a notamment motivé l’arrestation de l’ancien ministre N’Guessan.
Le RHDP au pouvoir nie toute ingérence politique dans le processus électoral et assure que la justice est indépendante.
Sollicité par l’AFP, le ministère de la Justice n’a pas souhaité répondre.
En avril dernier, en réaction à un appel du PDCI à manifester, le ministre de la Communication Amadou Coulibaly avait averti l’opposition, martelant que « le désordre ne sera pas toléré ».
Finalement, « ce sont des arrestations injustifiées contre des personnes qui demandent juste qu’il y ait une démocratie dans le pays, un dialogue politique », souligne un des vice-présidents du PDCI, Augustin Yohou Dia Houphouët.
L’histoire politique de la Côte d’Ivoire est jalonnée de crises meurtrières, notamment au moment des élections, encore vives dans les mémoires.
« Aujourd’hui, les conditions d’une nouvelle crise électorale sont réunies », alerte Pulchérie Gbalet, tout en restant déterminée : « On va continuer de lutter tant qu’il y a des violations ».
Avec AFP