L’Espagne, pays d’Europe, vient de lancer sur la table bruxelloise une proposition qui bouscule les lignes rouges traditionnelles de la diplomatie économique européenne : utiliser les fonds de la Russie.
Madrid plaide en effet ouvertement pour la création d’un fonds de défense européen, qui serait alimenté non par des prêts comme le veut l’usage, mais par des subventions directes puisées en partie dans les avoirs gelés de la Banque centrale de Russie.
L’initiative espagnole, présentée le 12 avril 2025 par le ministre de l’Économie Carlos Cuerpo lors d’une réunion avec ses homologues européens, repose sur une idée audacieuse : considérer la défense comme un « bien public européen » justifiant une mutualisation des ressources.
C’est une conception qui viendrait bousculer les réticences traditionnelles à l’égard d’une intégration plus poussée dans ce domaine régalien.
Au cœur du dispositif envisagé se trouvent les quelque 200 milliards d’euros d’actifs russes immobilisés en Europe depuis le début du conflit ukrainien, principalement détenus par le dépositaire belge Euroclear.
Jusqu’à présent, l’Union européenne s’est contentée d’utiliser les intérêts générés par ces fonds pour soutenir l’Ukraine, une approche prudente qui reflète les craintes juridiques de plusieurs capitales.
La proposition espagnole intervient alors que l’Europe cherche à renforcer significativement ses capacités militaires.
Un autre mécanisme de 150 milliards d’euros est déjà en discussion pour soutenir l’industrie de défense européenne dans des secteurs stratégiques.
Parallèlement, Bruxelles envisage d’assouplir les règles budgétaires pour permettre aux États membres d’exclure jusqu’à 1,5% de leur PIB de dépenses militaires du calcul du déficit, libérant potentiellement 600 milliards d’euros d’investissements supplémentaires.
Cette offensive diplomatique espagnole met en lumière les divisions persistantes au sein de l’Union sur la question sensible des avoirs russes.
L’Allemagne et la Belgique, notamment, considèrent leur confiscation définitive comme une ligne rouge, craignant un précédent juridique dangereux et une atteinte à la crédibilité internationale de l’euro.
De leur côté, l’Espagne et l’Italie redoutent que l’assouplissement des règles budgétaires n’aggrave leur situation financière déjà fragile.
En toile de fond de ces débats européens se dessine la réaction prévisible de Moscou. La Russie a déjà averti qu’une confiscation définitive de ses avoirs au profit de Kiev déclencherait des représailles envers l’Europe, y compris sous forme de recours judiciaires internationaux, qualifiant ces mesures d’expropriation déguisée contraire au droit international.