Le Maroc conserve sa 8e place parmi les fournisseurs de textile de l’Union européenne en tenant tête à la Chine. C’est donc une position qui relève de l’exploit face à l’offensive asiatique.
À fin septembre 2025, le royaume a exporté pour 2,092 milliards d’euros de textile vers l’Europe, soit une progression de 1 %. Une croissance modeste, certes. Mais positive dans un contexte où ses voisins méditerranéens s’effondrent.
La Tunisie recule de 3,2 % avec 1,572 milliard d’euros d’exportations. L’Égypte affiche une progression spectaculaire de 19,4 %, mais sa base reste fragile à 509 millions d’euros, soit quatre fois moins que le volume marocain.
Pendant ce temps, les géants asiatiques déploient leur artillerie lourde : la Chine progresse de 9,9 % à 19,76 milliards d’euros, le Bangladesh bondit de 13,2 % à 15,25 milliards et le Vietnam grimpe de 14,2 % à 3,25 milliards.
Bref, le Maroc résiste. Mais pour combien de temps encore face à des volumes 17 fois supérieurs aux siens ? Les importations chinoises et bangladaises combinées atteignent environ 35 milliards d’euros à fin septembre. Une avalanche de produits bon marché qui bouleverse le marché européen. Les prix moyens des vêtements importés ont reculé de 2,3 % au premier semestre 2025. Une tendance qui profite aux plateformes comme Shein ou Temu, capables de vendre des robes à 5 euros.
Jean-François Limantour, président du Cercle euro-méditerranéen des dirigeants textile-habillement, l’analyse sans détour : cette évolution découle du « glissement de la consommation vestimentaire européenne vers les produits bon marché », un segment où l’Asie règne grâce à ses salaires dérisoires et sa mainmise sur les matières premières textiles. Le Bangladesh illustre ce mécanisme implacable. Ses salaires représentent un tiers des niveaux chinois. Le pays bénéficie en plus du régime « Tout Sauf les Armes » qui supprime les droits de douane dans l‘UE.
La guerre commerciale entre Washington et Pékin amplifie cette dynamique. Les surtaxes américaines atteignant jusqu’à 100 % sur les produits chinois redirigent massivement les flux asiatiques vers l’Europe. Les fournisseurs asiatiques contrôlaient déjà 75,8 % du marché européen à fin juin 2025. Cette part continue de croître, écrasant progressivement les acteurs méditerranéens qui ne représentent plus que 16,5 % des importations de l’UE.
Le Maroc compense son handicap salarial par d’autres atouts. La proximité géographique réduit les délais de livraison, un argument qui pèse lourd dans l’ère du fast fashion. Le royaume mise aussi sur la qualité certifiée et la flexibilité productive. L’Association marocaine des industries du textile et de l’habillement accélère sa transformation numérique via le Passeport Digital développé avec l’APEBI. Enfin, la rencontre du 1er octobre 2025 entre le conseil d’administration de l’AMITH et Omar Hajira, secrétaire d’État au Commerce extérieur, vise à déployer le Programme Commerce Extérieur 2025-2027.
Le secteur a toutefois perdu son statut de premier employeur national au profit de l’automobile. Avec 246 000 postes en 2024, il reste néanmoins un pilier de l’économie. Le chiffre d’affaires atteint 67,8 milliards de dirhams, en léger recul de 0,5 %. Les exportations de vêtements confectionnés n’ont progressé que de 0,3 % sur l’année. Au cours des cinq premiers mois de 2025, elles ont même reculé de 2,1 %.
L’AMITH explore désormais une stratégie baptisée « coopétition ». Le concept consiste à collaborer avec des rivaux historiques comme la Turquie, l’Égypte ou la Chine pour consolider l’amont de la chaîne de valeur. La rencontre du 27 octobre 2025 entre Anass El Ansari, président de l’AMITH, et l’ambassadeur de Turquie explore ainsi des synergies d’investissement dans les textiles techniques. Une approche qui capitalise sur les complémentarités industrielles entre les deux pays.
Le pivot africain constitue l’autre axe de développement. Le deuxième Forum des pays de la Zone de Libre-Échange Continentale Africaine se tiendra les 11 et 12 décembre 2025 à Marrakech. Ce marché continental de 1,3 milliard de consommateurs ouvre des débouchés alternatifs face au protectionnisme occidental. Une diversification nécessaire alors que le déficit commercial vestimentaire de l’Europe devrait dépasser 50 milliards d’euros en 2025.
La survie du textile marocain passe par une réinvention accélérée. Le royaume doit basculer vers le haut de gamme et les textiles techniques ou écoresponsables. La rencontre du 18 juin 2025 entre l’AMITH et le PDG de Hugo Boss à Metzingen symbolise cette montée en gamme. La marque allemande, qui produit déjà au Maroc, souhaite renforcer sa présence industrielle dans le royaume. Mais elle exige des standards élevés de qualité, de traçabilité et de performance.
Le groupe hongkongais Hop Lun, leader de la lingerie, et le chinois Sunrise annoncent des investissements massifs, dont un projet de 2,3 milliards de dirhams. Ces implantations confirment la confiance d’acteurs internationaux dans le tissu productif local. Reste que la fenêtre de tir se réduit. Sans repositionnement massif, la pression des géants asiatiques pourrait devenir insoutenable. Le Maroc dispose encore d’atouts. Mais face à une Asie hyperagressive et une Europe en déroute commerciale, le temps joue contre lui.