Ce pays d’Afrique a investi 28 milliards pour transformer localement son manioc

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Crédit photo : Cuisine - Journal des Femmes

Une usine de transformation de manioc vient d’ouvrir ses portes à Namasagali, dans le district de Kamuli en Ouganda. L’investissement atteint 50 millions de dollars, soit environ 28 milliards de francs CFA. Dei Biopharma, l’entreprise pharmaceutique ougandaise à l’origine du projet, a annoncé la mise en service mercredi 19 novembre dernier. Le président Yoweri Museveni doit prochainement inaugurer officiellement les installations, situées sur les rives du Nil.

L’unité produira de l’amidon pharmaceutique, du glucose, du maltose et divers dérivés destinés à l’industrie. Ces composants entrent dans la fabrication de médicaments, gélules, boissons et produits alimentaires. Matthias Magoola, fondateur et directeur général de Dei Biopharma, explique la logique du projet : « Notre décision d’investir dans la production d’amidon est stratégique. Elle vise à renforcer la compétitivité de l’Ouganda dans la fabrication de médicaments en réduisant la dépendance aux intrants importés. »

La capacité quotidienne s’établit à 500 tonnes de racines de manioc. Un volume considérable. L’entreprise a déjà intégré plus de 3 000 agriculteurs dans son réseau d’approvisionnement à travers les régions de Busoga, Bukedi, Lango et Teso. Ces producteurs bénéficieront d’un débouché garanti pour leur récolte. Selon Magoola, un cultivateur de manioc peut espérer gagner trois fois plus qu’un planteur de canne à sucre sur la même superficie.

L’usine alimentera principalement le complexe pharmaceutique de Matugga, près de Kampala. Ce site de 150 acres dispose déjà de 30 lignes de production partiellement opérationnelles. L’installation fabrique ou fabriquera des vaccins, des médicaments anticancéreux, de l’insuline et des thérapies à base d’ARN messager. Une partie de la production d’amidon sera également exportée, notamment vers d’autres pays africains une fois la certification de la Food and Drug Administration américaine obtenue.

Le manioc figure parmi les denrées de base en Ouganda, aux côtés du maïs, de la pomme de terre et de la banane plantain. La FAO estime la production nationale à environ 2,2 millions de tonnes par an entre 2019 et 2023. Cette culture vivrière va désormais servir des usages industriels non alimentaires. Enfin, une question se pose naturellement : cette orientation pourrait-elle affecter la disponibilité du tubercule sur les marchés locaux ?

L’organisation onusienne avait alerté en 2024 sur les risques liés à l’utilisation de cultures vivrières dans la production de bioéthanol. Le détournement de denrées de base vers des applications industrielles peut réduire leur disponibilité, faire grimper les prix et compliquer l’accès pour les ménages les plus modestes. Le projet ougandais ne concerne pas le bioéthanol mais le principe demeure identique : une valorisation non alimentaire d’une culture essentielle à la sécurité alimentaire.

Dei Biopharma affirme avoir prévu cinq produits au démarrage, mais compte extraire à terme plus de 100 dérivés du manioc, du maïs et de la pomme de terre. Le sorbitol, le mannitol, le dextrose et la vitamine C figurent parmi les molécules envisagées. Bref, une diversification ambitieuse qui doit positionner l’Ouganda comme producteur régional d’excipients pharmaceutiques.

Le projet s’insère dans un contexte économique particulier. Le gouvernement ougandais a injecté 723,4 milliards de shillings dans Dei Biopharma entre 2020 et 2024, selon les révélations du vérificateur général Edward Akol. Cette somme colossale a suscité des interrogations parlementaires. Le chef de l’opposition Joel Ssenyonyi a pointé l’absence d’évaluation officielle de l’entreprise par l’évaluateur en chef du gouvernement avant l’engagement de fonds publics. L’absence de certificats d’actions et de protocole d’accord formel a également alimenté la controverse.

Dei Biopharma a évoqué la possibilité de rembourser l’intégralité de l’investissement gouvernemental, sans qu’un accord formel n’ait été conclu. L’Autorité nationale des médicaments a néanmoins accordé en mai 2024 les licences permettant à l’entreprise de démarrer la production de médicaments essentiels, notamment les comprimés non bêta-lactames et les gélules de gélatine dure.

La production d’amidon pharmaceutique représente un segment de marché dominé par les importations. Magoola affirme que 99 % de l’amidon et des excipients utilisés dans la fabrication de comprimés et gélules en Afrique proviennent de l’étranger. L’usine de Namasagali doit changer cette donne. Chaque comprimé ou gélule contient de l’amidon comme support. Une fois certifiée par la FDA américaine, la production ougandaise pourrait approvisionner d’autres pays du continent.

Les agriculteurs de la région de Namasagali reçoivent des boutures de Nilocus-1, une variété à haut rendement développée par des scientifiques ougandais. Le manioc pousse plus vite que la canne à sucre et rapporte davantage au kilo. Les tiges peuvent même être vendues séparément. Un argument commercial qui séduit les producteurs d’une région où la canne à sucre promettait autrefois la prospérité mais n’a souvent apporté que des dettes et des sols appauvris.

Le district de Kamuli fait partie de la région orientale, l’une des plus peuplées du pays. Les agriculteurs y cultivent traditionnellement le mil, le maïs, les haricots et les bananes. Le potentiel agricole reste sous-exploité en raison d’une faible mécanisation et de techniques peu évoluées. L’arrivée d’un acheteur industriel garantissant des volumes importants pourrait dynamiser l’économie locale. Reste à surveiller l’équilibre entre demande industrielle et besoins alimentaires des ménages.

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