Après un drame survenu au Mozambique, pays d’Afrique, le groupe français TotalEnergies finit visé par une information judiciaire pour homicide involontaire.
L’affaire prend en effet une nouvelle dimension judiciaire. Le parquet de Nanterre a ouvert une information judiciaire pour homicide involontaire et non-assistance à personne en danger visant TotalEnergies, quatrième major mondiale pétrogazière.
Cette procédure, révélée ce vendredi 14 mars 2025 par Franceinfo et confirmée par le parquet, constitue un développement majeur dans le dossier de l’attaque djihadiste qui a ensanglanté la ville mozambicaine de Palma en mars 2021, où le groupe français développait un mégaprojet gazier estimé à plusieurs milliards d’euros.
C’est une plainte déposée à l’automne 2023 par des survivants et des familles de victimes qui a déclenché cette enquête confiée à un juge d’instruction.
Les plaignants, de nationalités sud-africaine et britannique, pointent du doigt ce qu’ils considèrent comme des négligences graves de la part du géant français dans la gestion de la sécurité de ses sous-traitants.
Trois survivants et quatre proches de victimes accusent TotalEnergies d’avoir failli à son devoir de protection, privilégiant selon eux des considérations économiques au détriment de vies humaines.
Une vieille affaire en Afrique qui éclabousse le géant français
Les faits remontent au 24 mars 2021, lorsque des insurgés islamiques liés à l’organisation État islamique ont lancé une offensive meurtrière sur Palma, ville portuaire située à proximité du site d’Afungi, où TotalEnergies développait son projet Mozambique LNG, dans lequel l’entreprise détient une participation de 26,5%.
L’attaque, qui a duré plusieurs jours, a contraint le groupe à déclarer un cas de force majeure et à évacuer l’ensemble de son personnel du site de construction.
Le bilan humain de cette tragédie reste incertain. Si les autorités mozambicaines n’ont reconnu qu’une trentaine de victimes, le journaliste indépendant Alexander Perry avance le chiffre effroyable de 1 402 civils morts ou disparus, dont 55 sous-traitants.
Nombre d’entre eux avaient cherché refuge dans un hôtel à la sortie de la ville, qui fut assiégé par les assaillants. Un épisode qui rappelle cruellement les dangers auxquels sont confrontées les entreprises occidentales opérant dans des zones à haut risque.
« TotalEnergies apportera sa coopération à cette enquête », a déclaré le groupe dans un communiqué publié samedi.
L’entreprise « rejette fermement les accusations et rappelle l’aide d’urgence que les équipes de Mozambique LNG ont apportée et les moyens qu’elles ont mobilisés afin de permettre l’évacuation de plus de 2 500 personnes du site d’Afungi ».
Une défense qui contraste avec la position des avocats des plaignants, Vincent Brengarth et Henri Thulliez, pour qui « l’ouverture de cette information judiciaire est une étape décisive pour les victimes du massacre de Palma ».
Cette affaire s’inscrit dans un contexte plus large de contestation des activités de TotalEnergies, tant sur le plan environnemental que social. Le mégaprojet mozambicain lui-même fait l’objet de vives critiques de la part d’organisations environnementales qui le qualifient de « bombe climatique ».
Le jeudi 13 mars 2025, l’annonce d’un prêt de 4,7 milliards de dollars accordé par l’Agence américaine de crédit à l’exportation pour relancer ce projet a d’ailleurs suscité l’indignation de plusieurs ONG, dont Reclaim Finance et Les Amis de la Terre.
Ces organisations ont appelé « les autres financeurs, dont les banques françaises Crédit agricole et Société générale, à refuser de suivre cet exemple toxique et irresponsable ».
C’est une prise de position qui illustre les tensions grandissantes entre impératifs économiques et préoccupations environnementales et sociétales. Le démarrage de la production de gaz, initialement prévu pour 2028, est désormais envisagé en 2029 ou 2030.
L’information judiciaire ouverte contre TotalEnergies pour le drame survenu en Afrique s’ajoute à une série de procédures visant l’entreprise française.
En effet, le groupe, qui consacre encore deux tiers de ses investissements aux énergies fossiles malgré une diversification dans les énergies renouvelables, fait face à de multiples contestations juridiques.
Certaines ont été rejetées, comme cette plainte pour homicides involontaires liés au réchauffement climatique, classée sans suite le 20 février 2025.
D’autres demeurent en cours, notamment concernant ses activités en Ouganda et en Tanzanie, qualifiées de « climaticides » par quatre ONG, ou encore au Yémen, où l’entreprise est accusée de polluer terres et eaux dans la région désertique de l’Hadramaout.
Cette multiplication des fronts judiciaires témoigne des nouvelles exigences auxquelles sont confrontées les multinationales françaises opérant en Afrique.
Au-delà des contraintes réglementaires locales, souvent lacunaires dans des pays en développement, ces entreprises doivent désormais répondre de leurs actes devant les juridictions de leur pays d’origine.
L’affaire de Palma pose également la question épineuse de la sécurité des grandes infrastructures économiques dans des zones instables. Le nord du Mozambique, riche en ressources naturelles mais pauvre en développement humain, est depuis 2017 le théâtre d’une insurrection islamiste qui a déjà fait des milliers de morts et plus de 800 000 déplacés.
Un contexte volatil qui n’a pas dissuadé TotalEnergies d’y investir massivement, attirée par les gigantesques réserves de gaz découvertes au large des côtes.